Aller au contenu

Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
DE L ACTION

CHAPITRE X

DU DOUTE


Le fou ne doute jamais, ni dans son action ni dans sa pensée. Comme c’est folie de jeter tout le corps avec le poing, c’est folie aussi de trop croire à des ruses, à des haines, à des peurs, à ses propres actions et même à ses propres fautes. Le doute serait donc la couronne du sage. Descartes l’a assez dit, si seulement l’on comprend qu’après une idée il faut en former une autre et que le chemin est le même vers toutes. Mais on veut pourtant que Descartes n’ait douté qu’une fois. Le douteur a une allure ferme et décidée qui trompera toujours.

L’action du fou est à corps perdu. La peur combat très mal. Effet d’une croyance lourde, qui livre l’action aux forces. Mais l’action libre, comme du bon escrimeur, est douteuse à tout instant, et puissante par là. Vive et prompte, mais non emportée. Soudaine dans le départ et dans l’arrêt. Toujours prête au détour, au recul, au retour, selon le jugement. Toute action, d’inventeur, de gouverneur, de sauveteur, trouve ici son modèle, et l’action de guerre même, dans son tout et dans ses parties. Je n’oublie point l’action de l’artisan, plus harmonieuse encore et plus riche de sagesse peut-être, par la solidité de l’objet, et par ce loisir d’un instant que les autres actions ne laissent pas assez ; toutefois moins directe contre les passions, parce qu’elle ne les éveille point. Actions pesées, actions pensées. Ainsi la gymnastique est la première leçon de sagesse, comme Platon voulait.

Spinoza, disciple plein de précautions, à ce point qu’il semble arrêter tout, a voulu avec raison que l’on distingue l’incertitude et le doute.