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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/265

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du culte

consolé par une heure de lecture, comme Montesquieu dit ; aussi le chapelet enferme plus de ruse.

L’observation des choses religieuses vérifie nos principes, au delà même de l’espérance. Car, d’après ce qui a été dit auparavant, les peines d’esprit les plus cruelles doivent se guérir aisément par de petites causes, et nos vices n’ont de puissance aussi que par un faux jugement de l’esprit qui nous condamne ; mais le témoignage de chacun y résiste, tant qu’il ne connaît pas assez les vraies causes. Heureusement les conversions subites, dont il y a tant d’exemples, prouvent que les passions sont bien fragiles comme nous disions, et qu’une gymnastique convenable peut nettoyer l’âme en un moment. Mais j’avoue aussi que ces faits fourniront toujours assez de preuves aux religions, faute d’une connaissance exacte de la nature humaine ; car ces guérisons d’esprit sont des miracles, pour ceux qui n’en comprennent pas les causes. Ainsi la pratique conduit à croire ; et, à ceux qui ont essayé sans succès, j’ose dire qu’ils ont mal essayé, s’appliquant toujours à croire au lieu de pratiquer tout simplement. On saisit ici le sens de l’humilité chrétienne, dont la vérité est en ceci, que nos drames intérieurs ne sont que du mécanisme sans pensée, comme les mouvements des bêtes. Un confesseur disait à quelque pénitent à demi instruit qui s’accusait de n’avoir plus la foi : « Qu’en savez-vous ? » Je ne sais si j’ai imaginé cette réponse ou si on me l’a contée. Un gros chanoine et fort savant, à qui je la rapportais, eut l’air de trouver que j’en savais trop. Faites attention que la querelle des jésuites et des jansénistes peut être assez bien comprise par là ; car les jansénistes voulaient penser.

Il me semble aussi que le dogme, dont on se moque trop vite, est plutôt un constant effort contre les mystiques qui viendraient par leurs rêveries libres à changer l’objet des passions plutôt qu’à les apaiser. Dans toutes les expériences dont la nature humaine est le sujet, les effets sont si étonnants et si loin des causes, que la religion naturelle, si elle n’est plus la plate philosophie d’État, ne peut manquer de conduire à une espèce