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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/182

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CHAPITRE VIII

DU RIRE

Le rire va par secousses, comme les sanglots ; dans les deux la vie tour à tour se noue et se dénoue. Seulement, dans les sang-lots, le salut d’un moment vient de la force vitale seule, de nouveau le jugement se livre à l’horreur, à la colère sans action, au refus de vivre ; et la délivrance suit, par un court relâchement et par une saignée de larmes, jusqu’à la fatigue qui termine tout. Dans le rire il y a une courte stupeur aussi, mais la force vitale et le jugement sont d’accord pour dénouer aussitôt, secouer, rejeter, enfin essayer sans précaution aucune ce surcroît de force libre, signe de tous les trésors que nous usons à nous garrotter, dans le sérieux, dans l’ennui, ou seulement dans la prudence. Aussi le rire brave tout. Il y a une belle vengeance dans le rire, contre le respect qui n’était pas dû. C’est le plus bel accord du jugement et de la vie. Rien ne réconcilie mieux l’esprit et le corps ; car, dans les mouvements du sublime, le corps est toujours timide un peu. C’est pourquoi il est profondément vrai que le rire est le propre de l’homme, car l’esprit s’y délivre des apparences. Aussi il y a un art de faire rire en étalant des apparences d’un moment, et qui reviennent, mais sans solidité aucune. D’immortelles apparences, et riches