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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/192

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CHAPITRE XI

LES LEÇONS DE LA COMÉDIE

J’invite le lecteur à réfléchir sur un contraste qu’il n’a peut-être pas assez remarqué entre la comédie moyenne ou tempérée et la grande comédie. Dans la comédie moyenne, qui n’est qu’un jeu de société, la satire s’exerce souvent contre un homme en place que l’on connaît et que l’on reconnaît, mais sans dépasser la médisance de bon ton ; et tout reste en ordre ; ce ne sont que de légers travers, presque toujours adhérents au personnage, et des malentendus bientôt réparés. Pourtant, de cet ensemble si convenable, il résulte, si l’on y pense, un jugement inquiet ; on ne sait plus assez ce qui est permis et défendu, car tout y est arrangé ingénieusement pour que le succès modère les passions. Ce qui y règne, à vrai dire, c’est une fatalité heureuse qui voudrait désarmer le sage, en prouvant que dans un monde bien organisé les sottises et même les fautes ne vont jamais loin. Mais dans la grande comédie, toujours la même depuis les anciens âges, on voit au contraire que tous les pouvoirs sont méprisés, tous les tuteurs dupés, tous les barbons cocus et tous les valets fripons ; tout cela est cru et sans nuances, tel que Satan le voudrait ; en revanche la jeunesse et l’amour y vont leur train, mais