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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/197

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PARODIE ET MUSIQUE BOUFFONNE

sauve celui qui rit par le rire ; ainsi la comédie ne va point contre le respect, mais la parodie y va toujours, ce qui fait un rire trouble, et un plaisir de sacrilège.

La parodie se rapproche par ces traits de la comédie moyenne, qui veut toujours nous représenter des individus et faire rire à leurs dépens. Mais cet art facile, qui est à peine un art, nous trompe tout à fait sur les moyens de la vraie comédie. Les bouffons du cirque nous instruisent mieux ; car il s’en faut de beaucoup que celui qui joue le maladroit soit maladroit en effet ; l’artiste ne dissimule point du tout qu’il joue un rôle ; au contraire tout fait sortir le rôle et cache l’homme ; dans la comédie italienne de même. Un vrai bossu dans une comédie ne serait pas supportable ; c’est déjà trop qu’un gros homme y soit réellement gros. Les grands acteurs sont lestes, moyens de forme, avec des traits réguliers et grands, et une voix qui porte bien ; ainsi ils se cachent dans les rôles. Ces précautions, trop peu connues hors du métier, nous éclairent beaucoup sur le genre d’imitation qui convient à la comédie. Chacun reconnaît que l’artifice peut s’y faire voir et que les costumes d’un autre temps, et même fantaisistes, n’y nuisent point. Mais je dis bien plus, je dis qu’ils y sont nécessaires, comme pour rappeler à chaque instant que le vrai humain n’est pas sur cette scène, ni humilié par ces farces et ces coups de bâton. C’est l’importance vide qui y est, et nôtre, mais sans nous, et par nous jugée. Au lieu que dans la parodie, c’est l’importance encore, mais non pas nôtre ; victoire facile d’en rire, mais aussi c’est rire sans liberté. La parodie n’est donc que la moitié de la comédie.

La musique bouffonne est une parodie de la musique, mais qui se tient pourtant plus près de la vraie comédie, comme on peut voir. Car rire de la musique, c’est toujours rire de soi, entendez se séparer de soi, rejeter à l’objet l’émotion vive, dans le moment où la passion menace par trop de sérieux ; ainsi le trait de parodie, au reste toujours modéré par la musique