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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

disposé, sans être réuni à d’autres, sans être pressé et emporté par le rythme ; au lieu que la musique prend très bien l’auditeur avant qu’il y ait pensé, et comme malgré lui ; et de même, quand l’auditeur est distrait un moment, on ne recommence pas pour lui. Cette condition suppose donc une attention passionnée, j’entends passive, et sans recours ni répit ; de là cette puissance d’illusion qu’ont les arts en mouvement, et dont le théâtre use sans ménagement comme on l’a vu. Ici l’admiration et la critique ne peuvent aller ensemble ; l’esprit ne gagnerait rien à chercher dans le moment, et du reste il ne le peut point ; le développement ne vient pas de lui, mais de l’œuvre et selon le pas de l’auteur. Il y a donc interdiction d’aller au delà de l’apparence, et même d’interroger l’apparence, soit que l’on veuille rassembler les preuves de l’orateur autrement qu’il ne veut, soit que l’on soit curieux de décomposer un ensemble sonore, soit que l’on prétende poser au dramaturge les mille questions qui viendraient à l’esprit d’un lecteur. L’entraînement régit ces arts de magicien ; une apparence efface l’autre ; c’est donc comme une discipline de la pensée immédiate, qui ne peut durer sans une inflexible succession. Le théâtre, la poésie et même la musique auront toujours du creux, du fragile et de l’enfantin, si l’on oublie cette condition-là. C’est pourquoi aussi un esprit capricieux, et qui ne fait attention que par éclairs, mais qui revient volontiers et tourne autour de l’objet en quelque sorte, ne se prête pas toujours assez à la musique, ni au théâtre, ni surtout à l’éloquence. Socrate disait : « Quand tu arrives à la fin de ton discours, j’en suis encore au commencement. »

Il y a donc dans tous les arts en mouvement une tromperie qu’il faut accepter. Et, par opposition, nous pouvons saisir le trait peut-être essentiel de l’architecture, type achevé des arts sans mouvement, qui est de n’admettre aucune tromperie, ni même l’apparence d’une tromperie. C’est pourquoi on ne supporterait point des murs sans épaisseur ni des piliers qui ne