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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/207

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DES PERSPECTIVES

bâtir devant soi, en suivant la nécessité et les modèles, sans autre ambition que de faire grand et solide.

L’art du jardinier s’est conservé mieux, parce que la nature même des objets interdit alors de chercher de belles formes pour un spectateur immobile ; nul ne regarde un jardin d’en haut, comme on regarderait un dessin. Le jardinier cherche donc naturellement des perspectives, des avenues, de beaux tournants, des disparitions et des apparitions, des découvertes, des ouvertures. De là ces escaliers, ces terrasses, ces détours où il vous conduit, qui renouvellent l’aspect des mêmes choses et agrandissent ces lieux tranquilles. Les statues, les corniches, les pilastres y aident aussi, en marquant dans ces masses de verdure des points mobiles qui développent les profondeurs. Une des lois de l’architecture serait donc de rendre la grandeur sensible. On a assez dit que la tour Eiffel n’est point belle ; mais placez-vous sous les arceaux et près d’un des piliers et considérez les trois autres, vous aurez toujours une impression bien forte, et qui ne me semble pas sans rapport avec la beauté ; seulement, dans ce cas-là, il manque sans doute quelques entrecoupements intermédiaires, qui rendraient la distance plus sensible par nos mouvements. Je ne prends point pour entrecoupements ces croisements confus où l’œil se perd. Une des raisons pour lesquelles les édifices de fer ne sont point beaux est sans doute dans ces jours innombrables que le constructeur doit laisser entre les piliers et les arcs-boutants. Il ne peut s’en sauver qu’en fermant ces ouvertures par quelque artifice ; mais le plus petit mensonge gâte un édifice comme on l’a dit ; ainsi le remède est pire que le mal.