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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/396

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NOTES

qui est de nature, agitation contenue dans l’auditeur, et qui se fait jour par l’applaudissement. D’où j’aperçois que la musique prend notre âme par le dessous, et nos sentiments dans leur matière, avant que l’expression poétique les ait ornés de métaphores, avant qu’ils soient seulement nommés. C’est donc l’existence de l’âme, et non point son essence, qui s’exprime encore dans la musique la plus purifiée, j’entends ces mouvements cosmiques par lesquels l’immense existence nous est intime et intérieure. D’où je comprends que, par la musique, le monde s’offre toujours, et enfin que toute musique soit sur le point d’être descriptive, quoiqu’elle ne puisse point l’être du tout ; ce qui expliquera assez bien le paradoxe de ces titres célèbres, quelquefois imposés par l’artiste lui-même, plus souvent prononcés par la foule des admirateurs, et dont la vérité éclate, mais sans trouver développement. De cette présence, qu’il semble que l’on touche, résulte aussi ce caractère architectural de la musique, qui nous entoure et nous limite à la manière d’un temple, tempérant en effet nos mouvements, et nous offrant impérieusement des chemins et des passages. Cet ordre nous touche en effet, non moins intimement que ne fait notre propre chant. En sorte qu’il est également vrai de dire que la musique exprime les nuances de notre existence subjective, et de dire qu’elle nous remet au monde. C’est pourquoi il faut ici penser l’union des deux, qui fait un monde sans parties et un infini possédé. D’où l’on passe à ce caractère toujours religieux de la musique, mais sans oublier non plus le corps humain et le monde. Et cela n’importe pas peu, car toute religion est de l’existence, non de l’essence. Et la musique, à son tour, exprime l’existence, à proprement parler, sans aucune essence, par ce déroulement dans le temps, qui réduit l’objet à ce qui arrive, d’abord attendu, ensuite retenu comme en éclair, mais transformé aussitôt par une négation continue du souvenir. Il y a un sillage de la musique qui a la forme du souvenir, mais qui est aussi oubli total. C’est donc le jeu de notre renaissance, et la métempsychose à chaque instant. Par ces raisons, il faut laisser la musique à sa place, qui est loin derrière nous ; et la poésie de même, quoique plus éclairée d’esprit. D’après ces perspectives redressées, ce qui est devant nous et nous attend, l’art de l’esprit, c’est bien la prose, il me semble.

V

Livre IV, Chapitre IX. — Sur la Musique et l’Idée.

La Musique est, de tous les arts, le plus propre à faire paraître ce qui est vrai de tous, à savoir que l’idée qu’ils expriment n’est nullement séparable de l’œuvre, ni exprimable par des concepts. C’est que la Musique est fondée seulement sur l’art de faire tenir des sons ensemble, ce qui, d’un côté, exige que l’on aban-