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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/397

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NOTES

donne ou tout .lu moins que l’on subordonne l’usage ordinaire des cris articulés, les ramenant au rang de simple matière. Comme il arrive si l’on entend un orateur d’assez loin pour ne plus saisir le sens des mots ; il reste alors un bruit de nature, qui exprime l’homme, mais bien au-dessous de ce qu’il voudrait. En revanche la musique est capable d’assembler plusieurs discours ainsi dépouillés, leur rendant par l’accord ce qu’ils perdent de sens, et leur donnant finalement un sens plus haut, qui réunit en chaque moment, en quelque sorte, le discours et l’applaudissement, en éliminant tout à fait ce qui reste de rumeur dans les bruits de l’éloquence ; non pas tout à fait ; car l’orchestre et les chœurs se rapprochent souvent, l’un du bruit cosmique et inhumain, les autres du bruit humain, mais non sans préparation, non sans solution, et toujours sans perdre ni mettre en péril l’harmonieux assemblage. Qu’exprime donc la musique par là ? L’Église même, ou l’assemblée, en accord avec la nature tout entière, et c’est ce qui fait que la musique est si évidemment réelle au moment où elle se produit, et absolument hors de ce moment, c’est-à-dire soustraite aux hasards. Ce qui produit en effet l’idée indivisible du Dieu spinoziste, nature et humanité ensemble, sans aucune permission d’interrompre, ce qui est rompre. Cette intuition, intellectuelle en ses rares moments, et toujours périssable, ou pour mieux dire fugitive par les rappels de la nature, est au contraire, ici, apportée par la nature même, puisqu’elle tient tout entière dans une immédiate perception des sens. Le ravissement esthétique résulte donc bien de ce que l’imagination, en son libre jeu, s’accorde avec l’entendement, comme Kant l’a dit. Il est à propos aussi d’expliquer un peu en quoi consiste ici le libre jeu de l’imagination. Car, dans la musique, de même que l’idée est pure, le jeu de l’imagination est pur aussi, sans ces complications politiques de l’entre deux. L’imagination, entendez les mouvements du corps humain sur lui-même, est alors éveillée toute, sans choix et hors des chemins de la coutume ; ce qui fait qu’écouter la musique c’est parcourir le champ entier des sentiments possibles, ce qui rassemble tous nos souvenirs en un, et en même temps ouvre tous les chemins de l’avenir, au lieu d’en montrer un ou deux, comme ferait le triste monologue, toujours durcissant et s’amincissant depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse. Mais cette idée même je ne l’exprime que métaphoriquement, l’idée restant distincte de la chose ; au lieu que la musique est cette idée même.

VI

Livre IV. — Sur la Musique comme Architecture.

Architecture sonore, a-t-on dit souvent. J’ai longtemps repoussé cette métaphore. C’est le célèbre Eupanilos qui m’y a