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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/398

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NOTES

ramené ; et, de toute façon, il est vrai qu’on ne médite jamais vainement sur cette loi architecturale, qui est de solidité et de durée, autant qu’elle régit tous les arts sans exception. Les œuvres musicales n’ont point de durée par leur matière, mais seulement par l’assemblage, si serré et si plein qu’on n’y voudrait rien changer, et que la pensée n’en vient même pas. Au vrai la puissance d’une composition musicale résulte principalement de ce qu’elle efface à chaque moment la pensée même de changer, d’où l’œuvre apparaît comme durable et comme chose. Par la marche, par la promesse, par l’annonce sans aucune ambiguïté, on peut dire qu’elle existe toute. D’où l’on conclura que la belle musique s’exprime elle-même et n’exprime rien d’autre. C’est là qu’il faut toujours revenir. Et l’on pourrait aller jusqu’à dire que la musique faible ou manquée, ou laide, comme on dit, est telle seulement parce qu’elle n’assemble pas. La fugue aurait donc toujours raison, pourvu qu’elle assemble. Maintenant il faut remarquer que ce sont des cris qui sont ainsi assemblés ; d’où l’édifice sonore discipliné l’exécutant au plus profond, muscles et sang, et l’auditeur aussi par les mêmes causes ; elle nous touche donc, dans tous les sens de ce beau mot, nous arrête, nous dirige, nous détourne, à la manière d’un monument de pierre, en sorte que la métaphore de l’Eupalinos dit bien qu’elle nous enveloppe, qu’elle a des murs, des portes et des chemins comme le temple. D’où l’on comprend encore une fois qu’elle est œuvre, et d’ouvrier.

VII

Livre VIII, Chapitre IV. — Sur la Composition.

Quelqu’un s’étonna de ne rien trouver en cet ouvrage qui concernât la composition. Je veux dire ce que j’en crois. C’est là une idée à plusieurs sources, et peut-être toujours extérieure, c’est-à-dire fille d’intelligence et de nécessité. Par exemple un mouvement de voltige, d’un trapèze à un autre, est composé par la trajectoire immuable que décrit le centre de gravité du gymnaste ; ainsi il ne peut être autre. Une maison est composée d’après d’autres nécessités, mais surtout d’après la pesanteur encore. Une moitié de voûte, cela ne peut aller. Toutefois on pourrait peindre une moitié de voûte. On devine que la composition picturale reçoit ses règles de la nécessité architecturale, et de plus d’une manière. Pourtant j’aperçois un art qui a pour fin de composer, c’est l’art des cortèges et des assemblées. La composition est ici essentielle, par exemple dans un lit de justice, et on verra dans Saint-Simon pourquoi ; c’est que chaque place signifie quelque chose ; la nécessité que tous entendent, que tous soient vus ou entendus, achève