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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/400

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NOTES

VIII

Livre IX, Chapitre IV. — Sur le Dessin et le Portrait.

Cette idée que l’art du portrait soit étranger à l’art du dessin et même le nie, est de celles qui ont étonné le lecteur. Et, quoique la marche de cet ouvrage-ci dispose plutôt à suivre les idées et à les essayer qu’à les réfuter, néanmoins sur ce point-là des objections se sont élevées, et des œuvres aussi, car il existe un bon nombre de portraits qui, sans le secours de la couleur et même de l’ombre, et par le trait seulement, font revivre un regard d’homme. Il fallait donc méditer de nouveau sur ces exemples, mais sans cette précipitation à changer qui est bien plus redoutable dans le travail de la pensée qu’au contraire l’application à ne point changer les idées d’abord, qui est fidélité. J’ai donc interrogé ces juges muets, et il m’a semblé que l’immobilité était leur attribut, ce qu’on ne peut affirmer d’un portrait peint. Le portrait peint est étranger au mouvement, et ainsi ne reçoit point non plus la négation du mouvement. L'immobile est pensé dans le mouvement fixé. Je dirais bien que les portraits faits au crayon ou à la plume promettent, mais ne développent pas ; ce n’est toujours qu’un mouvement fixé ; d’où quelque chose de sec en cette force ressemblante. Nous sommes renvoyés au modèle ; mais c’est l’imagination errante qui a la charge du développement. Au lieu que le portrait peint développe nos pensées et nos sentiments dans la perception même, et ainsi ne nous renvoie jamais à un modèle imaginaire. Le portrait gravé s’approche un peu de la peinture, par les ombres ; et la peinture reproduite par ce moyen garde encore ses caractères, ce qui conduit le graveur à vouloir peindre en noir et blanc d’après le modèle de chair. Toutefois il me semble que la traduction du sentiment total, ou de l’histoire rassemblée d’une vie, par le geste du graveur, trouve un obstacle dans ce geste même, toujours entraîné par le rapport extérieur. J’en trouve un exemple dans la célèbre pièce des Cent Florins, où l’on voit à gauche les docteurs au trait sur fond blanc, mais aussi en action, ce qui représente comme il faut leurs misérables disputes, au lieu que le visage du Christ, qui doit et voudrait exprimer, à la manière du portrait, le sentiment durable, et enfin le plus intérieur de la personne, est presque vide sous ce rapport, malgré le travail des ombres ; et cela avertit, il me semble, que le graveur, en son travail propre, n’est pas ici disposé, je dis en son corps, pour traduire les richesses du cœur. D’où je reviendrais à dire que ces êtres crayonnés impérieusement, et auxquels je pensais, sont des natures plutôt que des personnes ; j’entends qu’au lieu d’offrir des nuances et replis sans fin, ils portent plutôt le signe de l’achevé et de l’impénétrable, commue on voit dans des formes<\p><\noinclude>