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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/223

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LES FEMMES DU PÈRE LEFÈVRE.

pour se dégager de deux Coqs qui la tenaient par le bras :

— Non ! je ne vais pas au café !… Lâchez-moi… je veux être seule, pour aller visiter les curiosités de la ville, les monuments !…

Neuf heures et demie pourtant. Dix heures. Dix heures et demie. Et les promeneurs du Mail ne songeaient pas à rentrer. Les cafés ne fermaient pas, ni plusieurs magasins. Le gaz flambait, par endroits haut et cru, comme un gaz de grande capitale, comme un soleil de nuit inventé pour illuminer les fièvres d’une vie factice. Tandis que, sur sa fontaine, raide et immobile dans son lourd manteau de pierre, le Bon-Grand-Homme semblait stupéfait de voir sa ville encore éveillée, à une pareille heure, indue pour une sous-préfecture, indue aussi pour une ville romaine, pour une ville féodale, pour une ville parlementaire. Et le murmure frais du filet d’eau tombant dans la vasque était couvert par un brouhaha, se perdait dans la buée de désir et de folie chaude qui commençait à charger l’atmosphère.

Une petite fièvre rendait maladroites les mains des coiffeurs du Mail frisant quelques-unes de ces dames. Celles qui achetaient des gants chez « le duc de la Rochefauxcols », étaient servies par le duc lui-même ; et, pour essayer la paire, le duc, ventre proéminent, arrondissait les bras autour de sa cliente, lui pétrissant les doigts l’un après l’autre, mollement, la respiration courte. Tandis que devant l’Hôtel-de-Paris, le