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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/251

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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

laissant pas placer un mot. — Histoire ! géographie ! dessin ! religion ! musique ! broderie ! danse ! littérature ! rien n’avait été négligé : sa fille était une perfection ! La fille d’un maréchal de France n’était pas mieux que sa fille ! X… (et il frappait de sa canne les pierres du rempart de la ville), X… n’était pas digne de posséder cette perle, qui eût brillé de tout son éclat au faubourg Saint-Germain, pas plus que ce pékin de Moreau n’était digne de l’avoir pour femme… Mais, sacré tonnerre ! ces hommes de robe, « tous ces gratte-papier ! » avaient donc du sang de poulet dans les veines… C’était moi qui avais poussé à ce mariage !… Lui disais-je tout, au moins ? Quoi qu’il se fût passé d’ailleurs, sa fille ne pouvait avoir l’ombre d’un tort. Il la voyait encore, entrant pour la première fois, l’autre hiver, en toilette de bal chez les de Lancy : une beauté ! une reine, nom de Dieu ! des épaules à lui faire oublier, à lui, qu’il était son vieux père ! des palpitations sous son gilet de soirée en entendant hommes et femmes murmurer : « La belle madame Moreau ! » — Ici, je crus qu’il allait pleurer. Mais nous étions arrivés à la porte de la Plate-forme. Un peu essoufflé, il s’arrêta, la main appuyée sur la rampe qui entoure le jet d’eau d’une corbeille de fer. À travers la poussière du jet d’eau, entre les troncs élancés des jeunes platanes, la vue de la ville, — qui, par la trouée de la rue de la Comédie, nous apparaissait tassée et comme engourdie à nos pieds, sous un soleil ardent déjà haut, — mit soudain le