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LES AVENTURIERS DE LA MER


de coups de couteau. Inertes, stupides, terrifiés, les autres approuvent ou feignent d’approuver. Pierre Oillic ou Hoëlic porte les premiers coups ; Antoine Carbuccia, matelot corse, se figurant qu’il exerce une vengeance, frappe comme un forcené. La demi-obscurité ne permet guère de voir qui s’abstient ou qui coopère au guet-apens. Mais les meneurs, parmi lesquels il faut nommer encore François Thépaut, Marnier et Daoulas, ne sont pas gens à supporter la neutralité. L’absinthe et la peur arment ainsi des malheureux qui, peut-être, ont horreur de leur action.

Lénard, le maître d’équipage, sorti de sa cabine, n’approche point, « parce qu’il n’ose pas », a-t-il dit plus tard ; mais en réalité, il est l’un des principaux coupables. D’après ses camarades, s’il avait eu du cœur, il aurait pu empêcher les crimes dont il prétendit n’avoir été que témoin. Investi de la confiance de M. Richebourg, capitaine du Fœderis-Arca, chef de quart, et d’ailleurs très capable de bien remplir ses fonctions, il joue un double rôle. Aussi est-ce à bon droit que ses complices l’ont dépeint comme un fourbe. C’était un homme de trente ans, du type blond, grand, fort, et dont la physionomie, généralement calme, annonçait une prudence énergique. Ses antécédents devaient naturellement tromper ses chefs : ce marin avait été décoré d’une médaille pour fait de sauvetage. Aucun des matelots du Fœderis-Arca ne subit plus que lui l’influence fatale des liqueurs fortes.

M. Aubert déployait un admirable courage. Frappé sur la tête avec le levier de fer de la pompe, blessé de coups terribles qui ont plié les lames des couteaux, il oppose une résistance inouïe. Les meurtriers le précipitent à la mer. Il s’accroche le long du bord, y remonte, lutte encore, mais enfin, accablé par ses ennemis, il est rejeté à l’eau, et disparaît en leur envoyant sa malédiction.

Le capitaine Richebourg accourait, en ce moment, armé de pistolets ; mais avant qu’il pût bien comprendre ce qui se passait, Hoëlic le saisit par derrière, et, secondé par ses camarades, le mit dans l’impossibilité de se défendre. Le capitaine, malgré sa paternelle indulgence, fut accablé de mauvais traitements ; on lui donna des coups de couteau ; on lui passa une corde autour du cou :

— Tuez-moi, dit-il enfin, mais ne me faites point souffrir.

— À la mer ! à la mer ! crient les assassins.

Et le pauvre capitaine est lancé par-dessus le bord.

La brise était faible ; le navire filait très lentement. Le capitaine na-