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LES AVENTURIERS DE LA MER

nant ou poussant sur les banquises le canot qui contient les malades et les quelques approvisionnements dont on a pu se munir ; il leur faut escalader çà et là les glaces bouleversées qui ressemblent à d’immenses champs retournés à l’aide d’un soc de charrue gigantesque, franchir les glaciers ardus. Les souffrances sont horribles. Ils tombent un à un sur la triste route ; les premiers peuvent être enterrés, les autres demeurent sans sépulture ; un amas de pierres, un cairn, dira peut-être — si les Esquimaux ne le fouillent pas — ce que sont devenus ces braves marins. Il arrive que dans ce défilé lugubre les pauvres gens s’aperçoivent tout à coup qu’ils sont emportés au loin par un glaçon détaché de la banquise.

Parfois c’est dans une chaloupe qu’on s’éloigne du lieu où le navire n’a plus offert qu’un abri. On essaye de traverser des bras de mer au milieu des glaces flottantes que les vagues jettent l’une contre l’autre, sous l’atteinte des hauts icebergs qui s’écroulent. Quelle résistance peut offrir cette coquille de noix à tant de forces déchaînées ? Les marins du Proteus réussirent cependant, dans de telles conditions, à gagner Godhaven, île de Disco, après avoir abandonné le steamer américain à l’entrée du détroit de Smith. Leur périlleuse traversée — sur la glace ou en canot — ne dura pas moins de trente-huit jours. Un seul d’entre eux était mort.

Il y a les hivernages forcés où l’on périt de froid, de faim, d’ennui de ne pas voir la lumière du soleil ; la lutte contre les ours, la chasse aux phoques ne trompent guère la longueur de cette interminable nuit du pôle ; la nourriture, où domine la viande salée, engendre le scorbut. À tant de causes de mort s’ajoute la crevasse béante — cet abîme qui engloutit le lieutenant Bellot. Et ces hivernages sont inévitables : selon les étés, on avance plus ou moins, puis l’hiver arrête, et l’été suivant ne dégage pas toujours ; s’il est moins chaud que celui qui l’a précédé, il ne détruit pas l’énorme masse de glaces solides qui s’entassent autour du navire et le font prisonnier.

Les lieux de ces lugubres hivernages sont toujours marqués par des tombes. Le littoral du Spitzberg en est semé. Que de pauvres baleiniers hollandais y dorment là leur dernier sommeil ! Au mois d’août 1850, les capitaines Penny et Ommaney découvrent trois tombes solitaires sur les bords escarpés de l’île Beechey. Une simple inscription donnait le nom des pauvres marins couchés dans ce sol glacé : ils avaient appartenu aux navires de Franklin, et c’est ainsi que par la