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LES AVENTURIERS DE LA MER


l’agonie lente et atroce : les naufragés semblent n’exister plus, avant même que le navire ait péri. Il n’y a pas d’exemple plus saisissant de ce naufrage inévitable, de cette condamnation sans appel, que la perte du London. Longtemps l’impression en demeura douloureuse ; et on cite encore souvent ce naufrage comme l’un des plus épouvantables drames maritimes.

Le bateau à vapeur anglais le London, capitaine Martin, périt dans le golfe de Gascogne pendant le coup de vent du 11 janvier 1866. C’était un navire à passagers accomplissant une fois de plus la traversée entre l’Angleterre et l’Australie. Ce steamer, très bon marcheur, commença à être fatigué par la mer dès le 1er janvier en débarquant de l’île Wight. Il n’avait quitté définitivement les eaux anglaises que le 5, se mettant en route à toute vapeur avec une petite brise debout qui tendait à fraîchir.

Le surlendemain la mer était devenue très forte. Se trouvant assez éloigné de toute terre, le capitaine Martin, marin d’expérience et de sang-froid, prit le parti d’arrêter la machine et d’établir les huniers pour appuyer le navire. Le 8, dans le milieu du jour, lèvent faiblit un peu, et l’on se remit à marcher doucement ; mais deux jours après, la bourrasque avait repris une telle intensité que plusieurs petits mâts furent brisés. Leurs débris demeurèrent suspendus aux étais et aux galhaubans, billardant contre le bord avec violence.

La tempête augmentait dans un jour livide et froid ; mais les passagers, très confiants malgré tout, se reposaient sur le capitaine, dont la calme attitude leur faisait illusion sur le péril de la situation. Cependant, depuis plusieurs jours la grande voix du vent gémissait autour d’eux, s’enflait, se faisait profonde. Il y avait là de quoi glacer les plus mâles courages, un sinistre avertissement…

Sous les coups redoublés des hautes vagues de l’Atlantique, se ruant avec des bruits sourds sur le navire jouet des flots, le London éprouva successivement des avaries considérables : ses canots lui furent arrachés ; le vent soufflait de l’arrière et la mer venait par le travers, ce qui occasionnait d’énormes roulis ; les lames déferlaient sur le pont ; des montagnes liquides d’un vert sombre se suivaient, se heurtaient, s’enroulaient en volutes frémissantes d’écume blanche, se lançaient en gerbes contre le steamer, avec des secousses répétées. Une lame plus impitoyable vint tomber sur le roufle de la machine, plate-forme qui mesurait douze pieds sur huit ; elle l’effondra entièrement, et remplit d’eau toute cette partie centrale du steamer.