Aller au contenu

Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
LES AVENTURIERS DE LA MER


barre, est poussé par des lames qui le font toucher si rudement que dès ce moment on peut juger que sa perte est certaine.

Aux premiers coups de talon, aux craquements horribles qui les accompagnent, ceux qui sont endormis abord se réveillent saisis d’effroi ; les uns s’élancent en haut demi vêtus, d’autres cherchent si cette affreuse réalité n’est point un reste de leurs songes inachevés ; on crie, on se rue, on appelle les chefs ; en vain ces derniers donnent quelques ordres dans cette confusion…

Et la mer couvre déjà l’avant du navire ; d’énormes lames viennent en grondant se briser avec fracas sur le côté incliné du bâtiment et emportent avec elles les débris de tout ce qui se trouve sur leur passage… À quelle distance de terre se trouve-t-on ? On ne sait. On ne sait si la côte qu’il va falloir chercher à atteindre avec les canots, — ou peut-être à la nage, accroché à un espars, à cheval sur un mât qui roule, — si cette côte est accessible. Le navire, après avoir talonné d’une manière épouvantable, s’incline dans le vide des lames, livrant son pont à l’envahissement de la mer.

Pour surcroît de malheur, la première lame qui tombe à bord enlève plusieurs embarcations, — interdit le salut.

Pour soulager le navire, le commandant fait couper les mâts, quand ils ne s’abattent pas d’eux-mêmes. Mais la lame ramène tous ces mâts contre les flancs, qu’ils battent à coups redoublés comme des béliers.

Ce qui fait que le navire qui touche sur un récif, sur un banc de sable est destiné à une prompte destruction, c’est que n’étant plus porté par les vagues, ne marchant plus avec elles, subitement il est devenu obstacle. Les lames le couvrent, déferlent sur son pont ; s’il est soulevé d’un côté, il retombe aussitôt de tout son poids, et ses flancs sont près de s’entr’ouvrir, des voies d’eau se déclarent, parfois sa quille se casse dans le milieu et le vaisseau présente à la mer deux ou trois grands débris. Bientôt ce n’est plus qu’une masse confuse que surmontent quelques tronçons de mâts.

Les hommes qui n’ont pas été blessés s’élancent à l’aide des cordages dans les haubans du côté où le navire s’élève. — Mais l’air est froid, les malheureux naufragés sont inondés par une eau glacée qui leur coule dans le dos, les pénètre, éclabousse de sel leur visage, leurs yeux. Grimpés dans les haubans, les pieds nus et endoloris, coupés par les enfléchures, ces pauvres marins voient s’écouler dans une lamentable agonie les derniers moments d’une existence toute de labeur,