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LES AVENTURIERS DE LA MER


à sa mère et lui montre le ciel, des femmes s’embrassent et se font leurs adieux.

À bord d’un navire chargé d’émigrants, que de regrets ! Combien de reproches se fait le père de famille qui avait rêvé un avenir meilleur pour les siens, la fortune peut-être, et qui les a menés à l’abîme, tandis que là-bas, où ils se sentaient si mal à l’aise, c’était, après tout, le plancher de la patrie !

Il n’est pas rare de voir, au milieu d’une si horrible confusion, un prêtre oublieux pour lui-même du péril, allant de groupe en groupe, pour encourager, pour consoler, pour bénir. C’est une action méritoire et qui dénote une réelle force d’âme.

Mais le navire oscille d’une façon inusitée. Maintenant, un à un, les mâts inclinés, n’étant plus suffisamment soutenus par les cordages, se brisent et tombent avec fracas, écrasant les malheureux qui se pressent sur le pont, broyant les canots que l’on travaille à mettre à la mer, où parfois même déjà des naufragés ont réussi à prendre place. Les blessés, les mourants, mêlent leurs cris aux prières ardentes faites à haute voix par ceux qui n’attendent plus aucun secours des hommes, aux ordres des chefs donnés tour à tour sur le ton de la supplication, et sur celui de la menace, aux lamentations, aux appels des noms, aux hurlements, — aux craquements du navire, à tous ces bruits sinistres qui sont les voix de l’inévitable catastrophe.

Les chefs supplient et menacent, disons-nous : à bord d’un navire d’émigrants qui va sombrer, le capitaine dirige son revolver sur quiconque s’opposera à l’embarquement, dans les canots, des femmes, des enfants. Son attitude résolue impose à tous, excepté à quelque malheureux qui veut passer outre, et sur lequel le capitaine décharge son arme, réussissant par cet acte de vigueur à ramener un semblant de discipline parmi ceux qui l’entourent.

La dernière minute est arrivée ; l’avant ou l’arrière du vaisseau plonge sous la vague, et ceux qui ont encore conscience de la situation se sentent tout à coup descendre dans le vide. Un long cri d’horreur et de suprême angoisse marque ce moment ; l’eau tourbillonne, et puis, plus rien.

Cependant au-dessus du gouffre apparaissent des gens qui luttent encore avec la mort. Comment se retrouvent-ils à la surface de la mer ? Ils ne sauraient le dire. L’instinct de la conservation les a fait peut-être s’attacher à un débris qui, par sa nature, devait revenir flotter. Surpris