Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/225

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M. Jérôme Coignard était communément d’une mansuétude exemplaire, et il avait coutume de dire qu’il devait cette douceur aux vicissitudes de la vie, la fortune l’ayant traité à la façon des cailloux que la mer polit en les roulant dans son flux et dans son reflux. Il supportait aisément les injures, tant par esprit chrétien que par philosophie. Mais ce qui l’y aidait le plus, c’était un grand mépris des hommes, dont il ne s’exceptait pas. Pourtant, cette fois, il perdit toute mesure et oublia toute prudence.

— Tais-toi, vil publicain, s’écria-t-il, en agitant sa bouteille comme une massue. Si ces coquins osent m’approcher, je leur casse la tête, pour leur apprendre à respecter mon habit, qui témoigne assez de mon sacré caractère.

À la lueur des flambeaux, luisant de sueur, rubicond, les yeux hors de la tête, l’habit ouvert et son gros ventre à demi hors de sa culotte, mon bon maître semblait un compagnon dont on ne vient pas à bout facilement. Les coquins hésitaient.

— Tirez, leur criait M. de la Guéritaude, tirez, tirez ce sac à vin ! Voyez-vous pas qu’il n’y a qu’à le pousser au ruisseau, où il res-