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Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/338

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Car vous n’ignorez pas que j’ai servi sous Villars et fait la guerre de succession. J’étais parmi les éclaireurs. Nous ne voyions rien. C’est une des grandes finesses de la guerre. On envoie pour reconnaître l’ennemi des gens qui reviennent sans avoir rien reconnu, ni connu. Mais on en fait des rapports, après la bataille, et c’est là que triomphent les tacticiens. Donc, à neuf heures du soir, je fus envoyé en éclaireur avec douze maistres…

Et il nous conta la guerre de succession et ses amours en Italie ; son récit dura bien un quart d’heure, après quoi il s’écria :

— Ce pendard d’abbé ne revient pas. Je gage qu’il boit là-bas tout le vin qui restait dans la soupente.

Songeant alors que mon bon maître pouvait être embarrassé, je me levai pour aller à son aide. La nuit était sans lune, et, tandis que le ciel resplendissait d’étoiles, la terre restait dans une obscurité que mes yeux, éblouis par l’éclat de la flamme, ne pouvaient percer.

Ayant fait sur la route, à la fois ténébreuse et pâle, cinquante pas au plus, j’entendis devant moi un cri terrible, qui ne semblait pas sortir d’une poitrine humaine, un cri autre que les cris déjà entendus, qui me glaça