Aller au contenu

Page:Anicet, Ponson du Terrail, Blum - Rocambole-IA.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dirai donc le secret que je voulais confier à M. Aubernon… Asseyons-nous, monsieur, et placez-vous près de moi… plus près… car ma voix s’éteint avec ma vie, ma force s’en va, et c’est toute une histoire que j’ai à vous dire.

ANDRÉA.

Je vous écoute, monsieur…

LE COMTE.

J’étais marié à une femme beaucoup plus jeune que moi. La comtesse était belle… j’en étais jaloux, et pourtant, durant les trois premières années de notre union, ma jalousie n’avait pas eu la moindre imprudence, la plus innocente coquetterie à reprocher à cette qui portait mon nom. Ce fut alors qu’une mission diplomatique amena d’Espagne en France un parent de ma femme, M. de Sallandrera.

ANDRÉA.

Voulez-vous parler du duc de Sallandrera qui a été longtemps ambassadeur d’Espagne à la cour du Brésil.

LE COMTE.

Oui, ce fut même pour se rendre à Rio-de-Janeiro qu’il nous quitta. Le duc était jeune alors, il ne put voir sa charmante cousine sans l’aimer… je saisis des preuves écrites de cet amour… amour partagé !… Bref, quand la comtesse donna le jour à un fils, je ne pouvais douter que cet enfant ne fût le fruit de l’adultère, et je jurai qu’un bâtard n’hériterait ni de ma fortune, ni de mon nom ; mais je ne voulais pas d’éclat, pas de scandale ; j’exigeai que l’enfant, confié à une nourrice, fût élevé loin du château… Il avait atteint sa troisième année, la comtesse me suppliait de lui rendre son fils… et j’hésitais encore à prendre un parti. Je voulais punir la mère… mais j’avais pitié de l’enfant. Pourtant il fallait en finir… Une nuit, le feu dévora l’habitation de la nourrice, et le lendemain, dans les décombres, on chercha vainement les restes de ceux qui avaient dû périr dans l’incendie.

ANDRÉA.

Incendie allumé par vos ordres ?

LE COMTE.

Oui…

ANDRÉA.

Vous aviez ainsi condamné une femme et un enfant innocents tous deux ?

LE COMTE.

Vous vous trompez, monsieur : je voulais que le bâtard disparût, mais je ne voulais pas le tuer. Cette nuit même, la paysanne, que j’avais gagnée, s’embarquait avec l’enfant ;