Aller au contenu

Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
LE POÈTE ASSASSINÉ

pales villes du globe après que l’Australie aurait été débarrassée de ses poètes érotiques ou élégiaques. En effet, on apprit à quelque temps de là le délire des populations de Tokio, de Pékin, de Yakoutsk, de Calcutta, du Caire, de Buenos-Ayres, de San Francisco, de Chicago, à l’occasion de la visite de l’infâme Allemand Tograth. Il laissa partout une impression surnaturelle à cause de ses miracles qu’il disait scientifiques, de ses guérisons extraordinaires qui portèrent au sublime sa réputation de savant et même de thaumaturge.

Le 30 mai, Tograth débarqua à Marseille. La population était massée sur les quais, Tograth arriva du paquebot dans une chaloupe. Dès qu’on l’aperçut, les cris, les vivats, les braillements poussés par des gosiers innombrables se mêlèrent au bruit du vent, des vagues et des sirènes sur les vaisseaux. Tograth était debout dans la chaloupe, grand et maigre. À mesure que la chaloupe approchait, on distinguait mieux les traits du héros. Son visage était glabre et bleuissait à l’endroit des poils, sa bouche presque sans lèvres blessait d’une large estafilade le visage sans menton, ce qui faisait qu’on eût dit d’un requin. Au-dessus, le nez se retroussait et laissait béantes les narines. Le front montait perpendiculaire, très haut et très large. Le costume de Tograth était blanc, très