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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/178

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8. Après avoir lu et relu votre lettre et l’ayant méditée autant que le permettait la brièveté du temps, je me suis souvenu de mon ami Nébride, ce chercheur soigneux et ardent de choses obscures, surtout de celles qui appartenaient à la religion ; il détestait les courtes réponses sur les grandes questions. Il supportait mal quiconque en pareil cas demandait de rapides éclaircissements, et si la personne du questionneur n’imposait pas trop de réserve, Nébride laissait échapper de vives paroles et son visage s’enflammait ; il ne le jugeait pas même digne d’adresser de telles questions, puisqu’il n’avait pas l’idée de ce qu’on pouvait et devait dire sur une aussi grande chose. Mais moi, je ne m’animerais pas contre vous comme faisait Nébride, car vous êtes évêque, occupé, comme moi, de beaucoup de soins ; et vous n’avez pas plus le temps de lire quelque chose d’étendu que moi de l’écrire. Nébride qui refusait d’entendre les trop rapides réponses était un jeune homme ; il s’enquérait de beaucoup de choses dans nos entretiens-; il était libre de son temps, et j’avais alors la même liberté que lui. Mais vous, en songeant à vous-même et à moi, vous me commandez d’être bref en répondant à une si grande chose. Je vais le faire dans la mesure de mes forces ; que le Seigneur m’aide à faire ce que vous me demandez.

9. Souvent, aux approches de Pâques, nous disons : C’est demain ou après-demain la passion du Seigneur ; et pourtant il y a bien des années que le Seigneur a été mis à mort, et sa passion n’a eu lieu qu’une fois. Le jour de Pâques nous disons : C’est aujourd’hui que le Seigneur est ressuscité, et cependant que d’années écoulées depuis sa résurrection ! Y aurait-il quelqu’un d’assez inepte pour nous accuser de mentir en parlant ainsi, et pour ne pas comprendre qu’il s’agit ici de la simple ressemblance des jours où ces événements se sont passés, qu’il n’est pas question du jour même, mais du retour d’un jour semblable et de la célébration d’un mystère accompli autrefois ? Le Christ n’a été immolé qu’une fois ; il s’immole pourtant dans le sacrement, non-seulement à toutes les solennités pascales, mais encore tous les jours, et celui-là ne mentira point qui, interrogé à cet égard, répondra que le Christ chaque jour s’immole ; car si les sacrements ne ressemblaient pas d’une certaine manière aux choses dont ils sont les signes, ils ne seraient pas des sacrements. C’est par cette ressemblance qu’ils reçoivent souvent les noms des choses mêmes. De même donc que le sacrement du corps du Christ est le corps du Christ, en quelque manière, et le sacrement du sang du Christ le sang du Christ, de même le sacrement de la foi est la foi[1]. Or, croire, ce n’est autre chose que d’avoir la foi. Et quand on répond qu’un enfant croit saris qu’il puisse avoir encore le sentiment et la foi, on répond qu’il a la foi à cause du sacrement de la foi, et qu’il se convertit à Dieu à cause du sacrement de la conversion, parce que cette réponse même appartient à la célébration du sacrement. Ainsi l’Apôtre, en parlant du baptême, dit « que nous avons été ensevelis avec le Christ par le baptême pour mourir au péché[2] ; » il ne dit pas : nous représentons la sépulture, mais : « nous avons été ensevelis. » Il a donné au sacrement d’une si grande chose le nom de ta chose elle-même.

10. C’est pourquoi un enfant, sans qu’il puisse avoir encore la foi qui consiste dans la volonté, devient cependant fidèle par le sacrement même de la foi. On dit de lui qu’il est fidèle comme on répond qu’il croit, non point par une affirmation de l’intelligence, mais par la réception du sacrement. Quand, devenu homme, il commencera à savoir, il ne recevra pas le baptême une seconde fois, mais il le comprendra et s’y unira de sa propre volonté. Tant qu’il ne sera pas capable de cette volonté

  1. Les protestants, en attaquant la présence réelle, ont fouillé dans les écrits de saint Augustin pour y exploiter des obscurités an profit de leur opinion. Le passage qu’on vient de lire est un de ceux dont ils se sont armés. Ils n’ont pas reconnu que l’évêque d’Hippone ne parle ici qu’en passant de l’Eucharistie et qu’il n’en parle, pour le besoin de son sujet, qu’avec l’intention d’y faire remarquer ce qui est signe et sacrement ; c’est la croyance de l’Église ; elle enseigne que tous les sacrements représentent ou signifient la grâce qu’ils produisent. Les mots : en quelque manière (secundum quemdam modum), ne sauraient s’appliquer qu’à ce qui constitue le signe même du corps et du sang de Jésus-Christ. Le signe n’en est pas moins la présence réelle. Les protestants se sont emparés d’un passage du même genre tiré du livre de saint Augustin contre le manichéen Adimaute ; on y répond de la même manière. Quant au rameux endroit tiré de la doctrine chrétienne, chapitre XVI, où saint Augustin semble prendre au figuré la manducation du corps de Jésus-Christ, il suffit d’un peu d’attention pour reconnaître que l’évêque d’Hippone voulait exclure la pensée judaïque de la manducation comme l’entendaient les capharnaites et que saint Cyrille de Jérusalem condamnait sous le nom de Sarcophagie; saint Augustin, fidèle à sa règle pour l’interprétation des livres saints, songeait ainsi à rejeter le sens qui semblait impliquer une action honteuse et criminelle. Ce qui est évident et au-dessus de toute contestation sérieuse et de bonne foi, ce sont les nombreux passages du grand évêque, qui établissent sa foi à la présente réelle ; nous citerons en première ligné le chapitre IX du livre contre l’Adversaire de la toi et des prophètes, puis les commentaires des psaumes XXXIX et XCVIII, le chapitre XX du premier livre des Mérites et de la rémission des péchés, le XIe sermon sur les Paroles du Seigneur. Nous pourrions multiplier les citations. Il faut voir dans la Perpétuité de la foi, ce bel ouvrage trop peu lu, d’habiles et solides réponses aux arguments de Claude et d’Aubertin, qui se sont efforcés d’enlever l’autorité de saint Augustin à la doctrine catholique de la présence réelle.
  2. Rom. VI, 4.