Aller au contenu

Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvait avoir ses Beethoven, pourquoi la Grèce primitive n’aurait-elle pas pu avoir ses Homère, qui ne comptaient, pour être compris et admirés, que sur les oreilles de leurs contemporains, sur l’audition de leurs ouvrages ? Du jour où Wolf soutenait avec raison que les poèmes homériques avaient été faits pour être récités, donc entendus, il avait tort d’invoquer la nécessité d’un public lisant et d’un âge lettré.

Et les possibilités contemporaines lui auraient fourni une objection presque aussi forte contre son premier argument. Car il avait sous les yeux l’exemple d’acteurs dont le métier était d’apprendre et de savoir par milliers les vers des tragiques et des comiques, et il avait dans les auteurs antiques l’exemple de ces jeunes Athéniens qui savaient par cœur et l’Iliade et l’Odyssée : quelle impossibilité irréductible pouvait-il découvrir à l’existence, d’un compositeur qui eût produit de mémoire ce que des acteurs ou des élèves étaient capables de reproduire de mémoire ?

Production et reproduction ont des lois différentes. Surtout, production par le seul moyen de la mémoire et production avec l’aide de l’écriture donnent des œuvres toutes différentes. Admettons, bien que nombre de faits puissent établir la possibilité du contraire, admettons avec Wolf que la seule mémoire ne puisse pas suffire à la production d’un poème continu de seize mille vers. Mais Wolf pensait que, des deux poèmes homériques, celui dont l’unité est encore la plus certaine, l’Odyssée, n’était en vérité que la juxtaposition de quatre ou cinq pièces, Voyage de Télémaque, Départ d’Ulysse, Récit chez Alkinoos, etc. : chacune de ces quatre ou cinq pièces n’aurait donc eu que de deux à trois mille vers, c’est-à-dire la longueur d’une ou deux tragédies ; pour reprendre alors le mot de d’Aubignac, quelle impossibilité verrait-on à ce que le Poète, com-