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Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/63

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se lèvent au loin ; plus loin ce sont des montagnes ; on est surpris parce qu’un aigle tout à coup s’envole sous vos pieds ; on court, on danse, on saute, on est un Marcel heureux, et dans ce bon mistral qui joue à vous jeter par terre, les cheveux dans les yeux, on devient un Marcel un peu fou, un Marcel qui se moque des péchés, qui veut vivre… ah !

Y penser m’emballe encore. Et puis je l’ai dit, j’adorais cet oncle qui n’était pas mon oncle. Je ne sais pourquoi il avait quitté sa Russie. Quand il parlait de là-bas, tantôt il avait été ingénieur, tantôt médecin, tantôt quelque chose chez les forçats de Sibérie. Il vous décrivait les organes d’une locomotive et sans que l’on s’en aperçût, en arrivait aux organes que nous avons dans le corps. La vie l’avait fatigué, non pas usé. Étroit d’épaules, il marchait un peu courbé. Sa barbe embrouillait, du clair au foncé, toutes les nuances du fauve. Un jour j’avais vu maman se préparer du thé avec des espèces de crins roux et rugueux qu’elle appelait des stigmates de maïs. La barbe de l’oncle était en stigmates de maïs. Ce qu’elle ne cachait pas, était un frétillement de petites rides, si bien réparties, une à droite, une à gauche, qu’on les eût dites savamment taillées à la main. Au moindre sourire, elles bougeaient et il ne cessait de