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Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/95

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L’HOMME DE COUR

CLVIII

Savoir user de ses amis.

Il y va de grande adresse. Les uns sont bons pour s’en servir de loin ; et les autres pour les avoir auprès de soi. Tel qui n’a pas été bon pour la conversation, l’est pour la correspondance. L’éloignement efface certains défauts que la présence rendait insupportables. Dans les amis, il n’y faut pas chercher seulement le plaisir, mais encore l’utilité. L’ami doit avoir trois qualités du bien, ou, comme disent les autres, de l’être : l’unité, la bonté, la vérité ; d’autant que l’ami tient lieu de toutes choses. Il y en a très peu qui puissent être donnés pour bons ; et, de ne les savoir pas choisir, le nombre en devient encore plus petit. Les savoir conserver est plus que de les avoir su faire. Cherche-les tels qu’ils durent longtemps ; et, bien que du commencement ils soient nouveaux, c’est assez, pour être content, qu’ils puissent devenir anciens. À le bien prendre, les meilleurs sont ceux que l’on n’acquiert qu’après avoir longtemps mangé du sel avec eux. Il n’y a point de désert si affreux que de vivre sans amis. L’amitié multiplie les biens et partage les maux. C’est l’unique remède contre la mauvaise fortune, le soupirail par où l’âme se décharge.

CLIX

Savoir souffrir les sots.

Les sages ont toujours été mal endurants. L’impatience croît avec la science. Une grande