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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/159

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et s’il se tait, je ne le saurai jamais !… » Et cette idée la plongeait dans une perspective d’inquiétudes éternelles, car elle connaissait sa noble nature. Elle savait qu’il y avait dans son cœur une fierté de réserve que la douleur la plus cruelle ne vaincrait pas. Elle devait, comme tout ce qui est grand sur la terre, périr par ses qualités mêmes. La pensée d’une question ou d’une plainte révoltait cette âme choisie. « Si ton mari te trompait jamais, — lui avait demandé un jour de son adolescence une de ses amies de pension, — que ferais-tu ? — Je souffrirais en silence, — avait-elle répondu, — jusqu’à la mort. Ma douleur serait mon secret. — Tu te sens donc bien forte ? — lui dit son amie. — Non, — fit-elle ; — je suis peut-être plus faible que toi, et peut-être serait-ce par faiblesse que je me tairais. » Elle se trompait alors, la généreuse fille, en prenant pour de la faiblesse la délicatesse d’une âme fière à la manière des anges, sans égoïsme et sans hauteur, et la plus divine des choses divines : la pudeur d’un sentiment profond, qui, quand il souffre, se cache sous des larmes héroïquement essuyées, comme, quand il était heureux, il se cachait sous des rougeurs.

Cependant, lasse d’errer en vain, d’appeler en vain, de souffrir en vain, succombant sous les incertitudes, le corps affaissé, les yeux brû-