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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/246

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tous les jours. D’où une suite d’élections permanentes qui usera les urnes. Plus d’urnes, plus d’urniers. Retour à l’état sauvage. Abolition du recouvrement des prêts usuraires. Pillage des monts-de-piété ! Mort des huissiers avec ou sans verges. Je tue les miens à coups de flèches, et j’épouse celle que j’aime.

Telles étaient, dans les spéculations propres à ce rêveur, les conséquences du transfert du gouvernement de son pays dans la cité glacée du Roi Soleil, et nous n’en tirions pas nous-mêmes de beaucoup plus graves. Il fallut déchanter le lendemain lorsque la nouvelle de l’exécution inexplicable, et demeurée une énigme, des généraux Lecomte et Clément Thomas, fusillés sans procès, sur la butte, vint nous avertir que quelque chose renaissait en France qui ressemblait aux massacres de septembre, sous la Grande, et là nous cessâmes de rire, voire de blaguer.

— Tu sais, ce n’est plus drôle, remarquait Georges, je vais tâcher de me rapprocher un peu du vieux du quai de l’École (son père, l’éditeur Gervais Charpentier), ce serait trop tout de même de le laisser trucider par les poètes.

Le jour de la manifestation de la place Vendôme, le 22 mars, au pied de la colonne Vendôme, il était dans les douze cents protestataires que conduisait Henry de Pène, notre ancien directeur du Gaulois, et s’il n’écopa pas comme ce gentilhomme de lettres dans l’échauffourée, ce fut par décret de la Providence qui voulait le conserver pour éditer l’œuvre d’Émile Zola et les aventures de la famille Rougon-Macquart. De la terrasse du café Américain où nous étions assis,