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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/75

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des grands écrivains — des jeunes alors — qui sont encore nos maîtres : Victor Hugo, Balzac, George Sand, Musset et Théophile Gautier. De ces deux derniers, il était le plus fier, et surtout de son « cher Alfred » dont il estimait, et non sans raison, avoir « fait la gloire ». De telle sorte qu’aimer Musset, c’était l’aimer lui-même. Le père Charpentier n’avait, comme éditeur, qu’un critérium : préférait-on ou ne préférait-on pas son poète à tous les autres, et, si l’on avait ce bon goût, allait-on, dans l’enthousiasme, jusqu’à la « Ballade à la Lune » ?

Paul Déroulède allait non seulement jusqu’à la Ballade à la Lune, mais à la Lune de la Ballade, grâce à quoi le vieil éditeur l’appelait son enfant, lui prédisait un avenir magnifique et s’offrait à lui publier tous les essais de son portefeuille. C’était un perpétuel : tu Marcellus eris, et dont, beaucoup trop économe pour lui-même, notre ami ne cherchait à tirer bénéfice qu’au profit de ses camarades. Ce fut ainsi qu’il me fit entrer à la Revue Nationale.

Elle appartenait à Gervais Charpentier. Inutile de vous dire qu’elle n’était destinée, comme toutes les revues, qu’à embêter celle des Deux Mondes. On n’en fonde que pour se payer cette joie, et il en avait les moyens. Les bureaux de la Revue Nationale étaient situés dans la librairie même, ou plutôt il n’y existait d’autres bureaux que les comptoirs du magasin. C’est sur l’un de ces comptoirs, quai de l’École, qu’étendu à plat ventre, et rallumant sans cesse un cigare qui s’éteignait toujours, Théophile Gautier a écrit, feuille à feuille, Le Capitaine Fracasse. Un employé les recueillait une à une, devant ou derrière l’écrivain, souvent par terre, les classait, les numé-