Aller au contenu

Page:Bird - Voyage d’une femme aux Montagnes Rocheuses, 1888.pdf/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
AUX MONTAGNES ROCHEUSES

de vérité : « Impossible ; il me tient pieds et poings liés. Je ne peux abandonner le seul plaisir que j’aie. » L’idée qu’il se forme du bien est tout ce qu’il y a de plus bizarre. Il dit qu’il croit en Dieu, mais que connaît-il ou croit-il de la loi divine, je n’en sais rien. Répondre à l’insulte à coups de revolver ; se venger de ceux qui vous ont injurié ; rester fidèle à un camarade et partager avec lui sa dernière croûte de pain ; se montrer chevaleresque envers les honnêtes femmes, généreux et hospitalier, et enfin mourir imperturbable, tels sont les articles de son Credo, et je suppose qu’ils sont acceptés par les hommes de sa trempe. Il a une haine amère pour Evans, qui la lui rend, ayant eu à supporter de sa part bien des provocations, quand il est dans ses accès de violence et de brutalité, et qui d’ailleurs est très-jaloux de la fascination que les manières et la conversation du desperado exercent sur les étrangers qui montent ici.

Au retour, la vue était plus belle que jamais ; le ravin était dans l’ombre, le Parc s’étendait sous les rayons d’un soleil intense, et tous les canyons majestueux qui y descendent étaient baignés dans des profondeurs d’un bleu infini ; au-dessus, les pics de perle, splendides de formes, étincelants de pureté, coupaient le bleu turquoise du ciel. Comment pourrai-je jamais quitter ce pays si lointain ? Comment puis-je le quitter ? est plutôt la question. Nous suivons le principe : « Mangeons et buvons, car demain nous ne serons plus », et les provisions diminuent. Nos deux repas ne constituent pas une solution économique, car nous mangeons davantage que lorsque nous en faisions trois.