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Page:Boisgobey - Rubis sur l'ongle, 1886.djvu/301

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donnant le bras à une femme. Il ne pouvait pas les reconnaître puisqu’il ne voyait que leur dos, mais ils parlaient assez haut, et il lui sembla que ce n’était pas la première fois qu’il entendait la voix du monsieur. Il ne chercha pas cependant à écouter ce qu’ils disaient, et ce fut bien malgré lui qu’il saisit au vol quelques mots qui éveillèrent sa curiosité.

— Ce que je rage ! disait la femme. J’en ferai une maladie, pour sûr. Ils n’ont donc pas d’oreilles, ces ânes qui l’applaudissent. Une grue qui ne sait pas se tenir en scène et qui chante faux ! Non, parole d’honneur, les hommes sont trop bêtes.

— Il y a longtemps que tu devrais le savoir, chère amie, répondit le monsieur sans s’émouvoir. Je prévoyais ce qui est arrivé.

— Toi ! allons donc ! Hier encore, tu me promettais que la pièce n’irait pas jusqu’au bout.

— Eh bien ! mais… nous n’en sommes encore qu’à la fin du premier acte… et il y en a trois.

— Les deux autres iront comme le premier. On lui fera bisser tous ses morceaux ; on lui jettera des bouquets ; on la rappellera dix fois. Et cette fameuse cabale sur laquelle tu comptais !… Oui, parlons-en ! Pas un siffleur !… si, un seul… et celui-là, je sais qui c’est… il a sifflé pour me faire plaisir… mais les autres… un tas de poules mouillées qui n’osent pas seulement éternuer, de peur qu’on ne les mette à la porte !… tous des biches… jusqu’à ce grand dadais de Florimond, le ténor. Il m’avait pourtant juré de lui couper tous ses effets. Ah ! bien, oui !… il lui fait de l’œil à cette fauvette de malheur, qui jouerait les dindes au naturel.