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Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme vol2.djvu/149

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rappelleroit des ſouvenirs capables d’exciter en lui les plus vives émotions… Je ſavois qu’une ame ouverte à la douleur, l’étoit aiſément à la tendreſſe, & me perſuadai qu’une attaque bien ménagée, en une telle circonſtance, ne pourroit manquer ſon effet ; le bazard m’avoit procuré un moyen de la tenter avec avantage.

Quelques mois auparavant, un Peintre habile étant venu à Autun, j’avois fait compoſer un tableau de mon hiſtoire, ſous un emblême connu : c’étoit les adieux d’Hector, non lorſqu’il vouloit embraſſer ſon fils, mais quand après l’avoir rendu à ſa mere, il s’éloignoit d’eux pour ne les revoir jamais.

Rozane, armé comme le héros Troyen, paroiſſoit diriger ſes pas vers une porte de ville qu’on appercevoit dans l’enfoncement ; il retournoit la tête, fixoit ſur nous un regard triſte & fier, tel que je ſuppoſois qu’il avoit dû l’avoir en me quittant.

J’étois ſur le devant du tableau, les bras étendus, la bouche entr’ouverte, les yeux baignés de pleurs : toute mon attitude annonçoit une perſonne déſolée & ſuppliante. Mademoiſelle des Salles me ſoutenoit d’un air pénétré… Ma fille éperdue, me montroit d’une main, de l’autre rappelloit ſon pere, avec un geſte plein de naïveté. Nous étions toutes trois extrêmement reſſemblan-