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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/361

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moins, flétrit mon âme, arrête mon sang, me rend triste, abattu, ne me laisse pas même le courage de la fureur et du désespoir. Je me disais souvent jadis : les hommes ne peuvent rien à celui qui meurt sans regret ; mais aujourd’hui, mourir sans être aimé de toi, mourir sans cette certitude, c’est le tourment de l’enfer, c’est l’image vive et frappante de l’anéantissement absolu. Il me semble que je me sens étouffer. Mon unique compagne, toi que le sort a destinée pour faire avec moi le voyage pénible de la vie, le jour où je n’aurai plus ton cœur sera celui où la nature sera pour moi sans chaleur et sans végétation… Je m’arrête, ma douce amie ; mon âme est triste, mon corps est fatigué, mon esprit est alourdi, les hommes m’ennuient. Je devrais bien les détester, ils m’éloignent de mon cœur.

Je suis à Port-Maurice, près Oneille ; demain je suis à Albenga. Les deux armées se remuent ; nous cherchons à nous tromper. Au plus habile la victoire. Je suis assez content de Beaulieu ; il manœuvre bien ; il est plus fort que son prédécesseur. Je le battrai, j’espère, de la belle manière. Sois sans inquiétude ; aime-moi comme tes yeux ; mais ce n’est pas assez, comme toi ; plus que toi, que ta pensée, ton esprit, ta vie, ton tout. Donc, amie, pardonne-moi, je délire ; la nature est faible pour qui sent vivement, pour celui que tu aimes. À Barras, Sucy, madame Tallien, amitié sincère ; à madame Château-Renard, ci-