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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/366

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Écris-moi dix pages ; cela seul peut me consoler un peu. Tu es malade, tu m’aimes, je t’ai affligée, tu es grosse et je ne te vois pas. Cette idée me confond. J’ai tant de torts envers toi, que je ne sais comment les expier. Je t’accuse de rester à Paris, et tu y étais malade. Pardonne-moi, ma bonne amie ; l’amour que tu m’as inspiré m’a ôté la raison ; je ne la retrouverai jamais. L’on ne guérit pas de ce mal-là. Mes pressentiments sont si funestes que je me bornerais à te voir, à te presser deux heures sur mon cœur et mourir ensemble. Qui est-ce qui a soin de toi ? J’imagine que tu as fait appeler Hortense ; j’aime mille fois plus cette aimable enfant depuis que je pense qu’elle peut te consoler un peu. Quant à moi, point de consolation, point de repos, point d’espoir, jusqu’à ce que j’aie reçu le courrier que je t’expédie, et que par une longue lettre tu m’expliques ce que c’est que ta maladie, et jusqu’à quel point elle doit être sérieuse. Si elle est dangereuse, je t’en préviens, je pars de suite pour Paris… J’ai été toujours heureux ; jamais mon sort n’a résisté à ma volonté, et aujourd’hui je suis frappé dans ce qui me touche uniquement… Sans appétit, sans sommeil, sans intérêt pour l’amitié, pour la gloire, pour la patrie, toi, toi, et le reste du monde n’existe pas plus pour moi que s’il était anéanti. Je tiens à l’honneur puisque tu y tiens, à la victoire puisque cela te fait plaisir, sans quoi j’aurais tout quitté pour me rendre à tes pieds.