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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/60

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fluette ; quelques mots sont incorrects ou oiseusement employés ; toutefois, la haute valeur de l’ouvrage n’est point atteinte par ces tares. Le Souper de Beaucaire possède de plus et de mieux que son intérêt historique je ne sais quelle beauté du diable qui me rassure pleinement sur les œuvres à venir. On y sent en germe l’orateur, l’historien et, surtout, le polémiste si empressé à répondre aux attaques perfides de la presse anglaise contre la France consulaire ou impériale. Car Napoléon, quoique entouré de pas mal de gens d’esprit et d’habiles ciseleurs de brûlots politiques, eut cet étrange amour-propre de ne jamais confier à d’autres plumes que la sienne les répliques du Moniteur, répliques fort vives et alertes, quand les reptiles de Pitt ou les élèves de Pitt venaient de parler. Plusieurs de ces articles de journaux sont dignes de nos meilleurs spécialistes d’aujourd’hui, les John Lemoinne et les J.J. Weiss. Par l’à-propos, l’habileté, les soins particuliers, qu’il apporta dans cette campagne d’un nouveau genre, — la guerre à l’écritoire après la guerre au canon, — on n’exagérerait pas en accordant au premier Consul et à l’Empereur le tempérament d’un brillant rédacteur en chef. C’est dire que si sa radiation des cadres de l’armée avait été maintenue en 1792, la première fois qu’il s’attira les rigueurs du ministre, ou en 1795, quand l’incapable Aubry voulait l’envoyer à l’armée de Vendée, le jeune Bonaparte eût demandé au métier d’homme de lettres le plus clair de ses ressources. Qui sait même si le roman, le théâtre et le journalisme politique ne l’auraient pas doucement conduit aux assemblées parlementaires ? Tôt ou tard, avec sa notoriété d’écrivain, son talent de parole, il eût forcé les portes du ministère ; et l’on avait, vers les derniers jours du Directoire, ce spectacle piquant du plus grand capitaine du monde transformé en ministre civil de la guerre !