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Page:Bouasse - Capillarité - Phénomènes superficiels, 1924.djvu/13

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du Dépôt ; grand dommage, il est vrai, pour les fumistes qui encombrent la science française.

Je ne leur demande pas de se tenir au courant, de feuilleter hâtivement les périodiques pour voir s’ils ne pourraient ajouter une sottise à celles qu’inlassablemenl on déverse sur nos tètes ; je leur demande de connaître l’ensemble de la question telle que l’ont posée les efforls d’un siècle entier.

Nos jeunes savants ont une outrecuidance que rien n’égale ; pour eux la science date du jour qu’ils font à un problème l’honneur de s’en occuper. Naturellement dans l’ensemble ils le situent tout de travers. Sous prétexte qu’on ne connaît la forme d’une loi que depuis peu, ils s’imaginent les expériences antérieures bonnes à jeter au panier. Ils ignorent, les malheureux, que la meilleure méthode pour découvrir, je ne dis pas un fait nouveau (c’est affaire de chance le plus souvent) mais une loi capitale, est de prendre la file. Toute la théorie de l’émission repose sur la loi de Stefan ; qu’ils apprennent dans le mémoire de Stefan de quelles expériences sort la loi.

Vous objectez que nos jeunes savants sont bien trop malins pour s’occuper d’autre chose que des phénomènes les plus récemment découverts ; on se met alors très vite à la page. Malheureusement tout est dans tout ; ils sont nécessairement conduits à parler des phénomènes connus depuis longtemps et déraisonnent à qui mieux mieux.

Il y a quelque vingt ans, comme j’avouais mon intention d’écrire un traité de physique, un physicien s’étonnait de l’énormité de la tâche entreprise ; je lui répondis qu’il n’y a d’autre manière d’exposer raisonnablement un point que d’exposer l’ensemble. La démonstration de cet aphorisme est fournie par les multiples encyclopédies où de nombreux auteurs se partagent la besogne : l’incohérence y règne souverainement.

Autant qu’il est permis à l’esprit humain de juger l’ensemble par le peu que nous en connaissons, les questions sont d’importances très diverses ; entre elles existe une hiérarchie. Comment l’étroit spécialiste peut-il la respecter ? Comment ne fera-t-il pas sa part trop belle au petit problème qui l’occupe et dont son intérêt est de gonfler le rôle ?

Après tout n’est-il pas excusable et ne suis-je pas naïf ? Quand on a beaucoup travaillé malgré l’hostilité générale, on est tellement habitué à être volé comme dans un bois qu’on finit par trouver cela tout naturel ; on se console en travaillant de plus belle. Mais le jeune savant est excusable d’avoir moins de philosophie : il voit les nullités prétentieuses entourées d’égards, comblées d’honneurs ; il lui faudrait une force de caractère peu commune, une honnêteté aujourd’hui bien rare, pour ne pas suivre d’aussi pernicieux exemples. Puisque la fortune scientifique s’acquiert par des procédés de charlatan, seuls Don Quichotte et Alceste, conseillent le travail honnête. Il n’en sera ni plus ni moins ; mais le rôle des Don Quichotte et des Alceste est de conserver l’idéal, comme à Rome les Vestales entretenaient le feu sacré !

Ni Don Quichotte ni Alceste n’empêcheront nos jeunes savants de