Page:Bouasse - Capillarité - Phénomènes superficiels, 1924.djvu/14

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couvrir quelque nullité d’un manteau de gloire, manteau si vaste, aux plis si larges, qu’ils abritent dessous leur impatient arrivisme. C’est un spectacle bouffon, attendrissant, du soin qu’ils prennent de raccommoder les trous du pallium pour y trouver un abri commode ; ils poussent la Nullité pour avancer avec elle, ils l’étaient contre les cabots, écartent de leur mieux les pommes cuites, finalement l’abandonnent quand décidément la Nullité ne tient plus : tels les rats quittent le navire qui sombre. S’ils ne sont pas trop vieux, ils cherchent une autre Nullité auprès de laquelle la comédie recommence : la bande se reconstitue autour de la nouvelle idole. Naturellement les étrangers adoptent ces idoles successives, heureux de nous juger sur des échantillons de pacotille. La comédie va plus loin : s’ils ont un fils à caser, les arrivés décatis adoptent pour leur progéniture un chef de file parmi de plus jeunes, sans souci de sa valeur, uniquement pour ses chances d’arriver à son tour.

Jadis le père choisissait une bru pour son fils, maintenant c’est un chef de bande, dont il devient le comparse.




Le professorat donne une notion exacte du rôle des théories el de leur vraie nature. C’est en enseignant, en résumant pour les débutants les résultats acquis qu’on aperçoit l’inutilité des grandes synthèses dont nos contemporains se gargarisent, et qu’on juge du peu d’avancement réel de la Science. Je voudrais qu’on donnât pour pénitence à tous les auteurs qui ont écrit sur Einstein la tâche de faire un cours sur les Interférences : il serait plaisant de les voir se débattre entre la nécessité d’être compréhensibles et le désir de ne pas lâcher leur grand homme. Ce serait d’autant plus amusant que sur cent on n’en trouverait certainement pas deux qui connussent le sujet : il faudrait l’apprendre. Naturellement en France, malgré qu’ils en eussent, ils achèteraient le livre de ma collection. Une des raisons qui me font détester de mes chers collègues est qu’il est bien difficile en France de se passer de mes livres, tout simplement parce qu’il serait invraisemblable qu’un des auditeurs au moins ne les eût pas entre les mains : le professeur risquerait de se faire coller par l’élève qui m’aurait lu, disgrâce qu’il redoute. On ne me cite jamais, les journaux scientifiques français vont même jusqu’à supprimer d’office les renvois à mes livres (je sais là-dessus de bonnes histoires) ; que m’importe puisque mes livres sont sur toutes les tables ?

Rien n’est amusant comme le soin que prennent nos professeurs de Faculté (l’École normale donne le branle) de détourner leurs élèves de la lecture de mes livres. « Gardez-vous, disent-ils, d’en apprendre autant ! Votre crâne éclaterait ! Tâtez le nôtre : il est vide. Ce qui prouve qu’on arrive sans rien savoir. Ménagez-vous, bachotez. Ayez pourtant le soin d’apprendre un historique et de mettre des renvois bibliographiques au bas des pages : c’est facile et donne l’illusion de la Science. »