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Page:Bouasse - Capillarité - Phénomènes superficiels, 1924.djvu/19

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Le mépris de toute instruction, je ne dis pas érudition, par suite le mépris du professeur est la caractéristique de nos polytechniciens si bien décrits par la formule : « Remplis d’eux-mêmes, vides de tout le reste ». Jadis on croyait ces messieurs nuls en pratique mais très forts en théorie. La guerre a passé : tout le monde sait aujourd’hui qu’ils sont aussi nuls en théorie qu’en pratique. Ignorance foncière, manque absolu d’esprit scientifique, telle est leur adéquate définition.

Voici du reste ce que je trouve dans leur journal quasi officiel sous la signature d’un général ; voici ce qu’ils n’ont pas scrupule d’imprimer en l’approuvant, je suppose.

« Tout d’abord si les compositions écrites fermaient la porte d’entrée à l’École à de très bons élèves, incapables de faire la moindre application d’un cours qu’ils possèdent et comprennent très bien toutefois, je dirais tant mieux. Qu’est-ce qu’un très bon ouvrier connaissant fort bien l’usage d’un outil, mais incapable de s’en servir ? Qu’est-ce qu’un ingénieur incapable de faire des applications de l’enseignement théorique qu’il a reçu ? Un pur érudit. Un reflet fidèle des idées d’autrui, mais dépourvu de toute personnalité, un abstracteur de quintessence, un métaphysicien, non un physicien — peut-être un excellent professeur. L’École Normale lui ouvrira ses portes, l’École Polytechnique devra lui fermer les siennes. S’il y est entré par surprise, il ne sera jamais un technicien, ni un théoricien de la technique, rien qu’un rhéteur scientifique. »

Ce texte est effrayant ! Je pensais qu’on ne pouvait comprendre sans savoir appliquer ; que le critérium de la réelle compréhension résultait de l’usage. Je croyais qu’un très bon ouvrier ne connaissait l’usage d’un outil que parce qu’il était capable de s’en servir ; avant de décrire un rabot, j’ai pris la peine de raboter des hectomètres de planches. Je m’imaginais qu’à vingt ans on n’est pas encore « ingénieur » et qu’on ne peut exiger une « personnalité » d’un blanc-bec à peine sorti de page.

Mais laissons ces incohérences !

Contentons-nous de noter l’opinion de ces braves gens sur les professeurs. Souvenez-vous de la Guerre, ô professeurs mobilisés dans les poudreries et arsenaux ; rappelez-vous avec quelle stupeur vous entendiez les techniciens patentés dégoiscr leurs sottises, perpétrer leurs âneries.

Rappelez-vous comment ces hommes éminents, ignorants comme des carpes, nous démontrèrent d’abord l’impossibilité théorique de la Grande Bertha, quittes, trois jours après, à la retrouver dans leurs formules.

Certes pour être un bon ingénieur il ne suffit pas de savoir, il faut savoir appliquer. Mais dans mon humble bon sens je croyais qu’on appliquait seulement des choses connues, par suite qu’on avait apprises. Ces messieurs n’ont pas besoin d’apprendre ; ils ont tous le flair de l’ar-