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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/120

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soupçon, car à huit heures et demie, étant arrivés à Bellinzona, cet homme vint me remercier, et, en me serrant chaleureusement la main, il me dit en fort bon français, bien qu’avec un accent étranger, que je lui avais rendu un service qu’il n’oublierait jamais, et, sans se montrer dans l’hôtel, il disparut dans la montagne. J’ai pensé que c’était quelque réfugié politique. Je demandai au cocher s’il le connaissait ; il me dit non.

En tout pays, le premier soin d’un voyageur qui n’a pas dîné est de songer à souper : telle était donc aussi ma préoccupation, car j’avais faim et soif. Ce qui me frappa d’abord furent ces mots écrits en français : vin de Bellinzona exquis. Je m’empresse de demander, avec le souper, un flacon de ce nectar, qu’on me débouche en grande cérémonie et comme s’il se fût agi du joannisberg ou du vin de Constance. Je croyais y voir quelque teinte dorée, mais rien moins : une couleur rouge de sang ne me prévint pas en sa faveur, et dès la première gorgée, il me parut médiocre. Je pensais qu’en mangeant il me semblerait meilleur, et j’attaquai un plat de petites truites qui sont ici la providence des aubergistes, mais non toujours des voyageurs, car on finit par se dégoûter de tout, même des truites, et celles-ci n’étaient pas fraîches. Le reste était à l’avenant. Quant au vin exquis, au deuxième verre je le trouvai détestable, et je ne pus le boire qu’à force d’eau.

L’hôte me dit que le bateau le Saint-Gothard, par lequel je suis venu, est de la force de trois cent quatre chevaux et peut porter jusqu’à cinq cents tonneaux. Il me dit aussi que Bellinzona est le pays des vents, néan-