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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/20

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AURORA FLOYD

vaux dans ce mémorable jour du 5 juillet, mais il s’appuya sur la balustrade de la croisée, sa jambe boiteuse étendue sur une chaise, et le dos appuyé sur la boiserie d’un petit châssis, fumant, buvant, lisant et relisant ses listes de courses toute la journée. L’eau-de-vie et l’eau froide qu’il se versait toutes les demi-heures sans interruption, et qui glissaient dans son charmant gosier, semblaient avoir moins d’influence sur lui que n’aurait produit la même quantité sur un cheval. Cette quantité aurait pu incommoder le cheval, c’est vrai, mais elle n’exerçait aucune action sur l’entraîneur.

Mme Powell, se promenant pour sa santé sous les futaies du nord, courant par cela même l’imminent danger d’attraper un coup de soleil, affecta de passer et de repasser devant la loge, et de regarder Conyers, étendu, sombre et magnifique, dans l’embrasure de la croisée, exhibant la silhouette de sa charmante personne encadrée dans l’épais feuillage qui pendait le long des murs du cottage. Elle était un peu gênée par la présence de l’idiot qui balayait le seuil de la porte, et qui lui lança un regard de connivence lorsqu’elle passa, un coup d’œil qui pouvait signifier :

— Nous connaissons ses secrets, vous et moi, tout beau et tout insolent qu’il puisse être ; nous connaissons le prix modique pour lequel il peut être acheté et vendu. Mais nous gardons notre secret. Nous gardons notre secret jusqu’à ce que le temps mûrisse le fruit sur l’arbre, quoique nos doigts nous démangent pour le cueillir pendant qu’il est encore vert.

Mme Powell s’arrêta pour souhaiter le bonjour à Conyers, et exprimer une surprise aussi grande de le voir dans le cottage du nord, que si elle eût appris qu’il voyageait dans le Kamschatka ; mais Conyers mit fin à ses salutations par un bâillement, et lui dit, avec une certaine familiarité, qu’elle lui rendrait service en lui envoyant le Times du matin, aussitôt que ce journal quotidien arriverait au Park. La veuve était trop sous l’influence de l’impertinence gracieuse de ses manières pour s’y refuser comme elle eût pu le faire, et elle retourna à la maison, déroutée et étonnée,