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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/32

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AURORA FLOYD

L’idiot répondit à son maître qu’il avait vu une des voitures passer la grille un peu après dix heures, la veille au soir, et qu’il supposait qu’elle portait M. et Mme Mellish.

— Alors, tu feras bien d’aller t’en assurer au château, — dit Conyers, — je tiens à le savoir.

— Aller au château ?

— Oui, poltron, lâche, vil coquin ! Supposes-tu que Mme Mellish veuille te manger ?

— Je ne suppose rien de la sorte, — répondit timidement l’idiot ; — mais je préfèrerais ne pas y aller.

— Mais je te dis que j’ai besoin de le savoir, — dit Conyers ; — j’ai besoin de savoir si Mme Mellish est chez elle, et ce qu’elle fait, et s’il y a du monde, et tout ce qui la concerne enfin. Comprends-tu ?

— Oui, c’est assez facile à comprendre, mais c’est joliment difficile à exécuter, — répliqua Hargraves. — Comment voulez-vous que j’apprenne tout cela ? qui me le dira ?

— Est-ce que je le sais, moi ? — s’écria l’entraîneur impatienté, car la lourde stupidité d’Hargraves jetait le bouillant Conyers dans une colère fiévreuse ; — le sais-je ? Ne vois-tu pas que je suis trop malade pour bouger de mon lit ? J’irais moi-même si je pouvais. Et ne peux-tu faire ce que je te dis sans me donner des raisons aussi stupides pour me rendre fou ?

Hargraves murmura quelques excuses inintelligibles, et s’esquiva au plus vite. Les beaux yeux de Conyers le suivirent avec un froncement de sourcils. Ce n’est pas un état agréable que celui qui succède à une nuit de débauche et d’ivresse ; et l’entraîneur était furieux contre lui-même de la faiblesse qui l’avait poussé à Doncastre la veille, et il était porté à passer sa colère sur les autres.

Il se commet bien des injustices dans le monde, et les femmes de chambre sont souvent exposées à souffrir des folies de leurs maîtresses. Il est très-probable que l’Abigaïl française de Clara Vere de Vere aura, pour expier la mort du jeune Laurence, beaucoup à souffrir de la mauvaise humeur de milady, sans compter le nombre de fois qu’il lui faudra défaire et refaire les corsets qui eussent