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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/44

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AURORA FLOYD

La veuve arriva bien avant Hargraves, qui s’était arrêté, comme nous l’avons vu, sous le feuillage du sentier couvert, pour déchiffrer le griffonnage d’Aurora. Elle trouva Mellish assis avec l’entraîneur dans le petit salon du cottage ; ils s’entretenaient des changements à apporter à l’écurie ; le maître parlait avec une grande animation, le valet écoutait avec une nonchalance où il y avait un certain air d’indifférence, pour ne pas dire de mépris, à l’égard des chevaux de courses du pauvre John. Conyers, en entendant la voix de son maître, dans la petite pièce du rez-de-chaussée, s’était levé, avait passé un paletot poussiéreux et une paire de pantoufles, afin de descendre écouter ce que Mellish avait à lui dire.

— Je suis fâché d’apprendre que vous êtes malade, Conyers, — dit John de sa voix forte et fraîche, dont chaque note était pour ainsi dire empreinte de vigueur et de santé ; — comme vous n’étiez pas assez remis pour venir au château, j’ai pensé que je ferais tout aussi bien de venir ici causer d’affaires avec vous. Je voudrais savoir si nous ferions bien de retirer Monte Cristo de son engagement d’York, et si vous pensez qu’il serait sage de laisser Northern Dutchman tenter le Great Ebor. Hein ? qu’en dites-vous ?

Les paroles de Mellish vibraient dans cette petite chambre et faisaient frissonner l’entraîneur. Conyers avait toute la maussade susceptibilité qui sied à un homme d’une position supérieure à la sienne. Y a-t-il donc du mérite à paraître supérieur à sa position ? Je m’étonne qu’on se vante pour ainsi dire de n’être pas apte à certains emplois honnêtes, à certains travaux rudes, mais où l’on peut arriver à mieux. Dans les fables, les fleurs qui veulent passer pour des arbres s’en trouvent toujours fort mal. C’est peut-être qu’on ne peut rien faire sans se plaindre. Il n’y a aucune objection, je suppose, à ce qu’elles deviennent arbres, si elles le peuvent ; mais la grande objection, cause de leurs récriminations, c’est qu’elles ne le peuvent pas. Pour le fils du simple avocat corse qui se fit Empereur des Français, le monde n’a que des sympathies ; mais pour le pauvre