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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/45

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AURORA FLOYD

Louis-Philippe, qui abandonna son trône au premier choc qui dérangea son équilibre, il en a eu très-peu, je le crains. Est-il juste d’en vouloir au monde parce qu’il sacrifie au succès ? Le succès n’est-il pas en quelque sorte l’empreinte de la divinité ? Le contentement de soi-même peut tromper l’ignorant quelque temps ; mais quand le bruit cesse, nous éventrons le tambour, et nous nous apercevons que c’était le vide qui faisait le son. Conyers éprouvait une satisfaction personnelle à déclarer qu’il suivait un chemin indigne de ses pas ; mais comme il n’avait jamais tenté de se rapprocher d’un pouce de la grande route de la vie, il y a quelque raison de supposer qu’il avait une manière de voir toute particulière. Mellish et son entraîneur s’occupaient encore des écuries quand Mme Powell arriva à la loge. Elle s’arrêta quelques minutes sous le porche rustique, attendant qu’ils cessassent de parler. Elle était trop bien élevée pour interrompre Mellish pendant qu’il causait, et il y avait des chances pour qu’elle entendît quelque chose si elle patientait un peu. Il était impossible de voir un contraste plus grand que celui qui existait entre ces deux hommes. John, bien taillé, les épaules larges, les cheveux courts, un peu crépus, relevés sur son front haut et carré ; ses grands yeux bleus, rayonnant honnêtement sur tout ce qu’ils regardaient ; ses amples vêtements gris, propres et bien faits ; son linge dans toute la fraîcheur de la toilette du matin ; tout dans sa personne s’harmonisait par la grâce facile, naturelle à l’homme qui est né gentleman, et que jamais ni les belles choses à prix réduits que peut vendre Moses, ni toutes les absurdités coûteuses que peut acheter Tittlebat Titmouse ne procureront au parvenu vulgaire. L’entraîneur était plus beau que son maître, comme l’Antinoüs grec est plus beau que les jeunes squires substantiellement chaussés et amplement couverts que nous représentent les dessins de Millais ; aussi beau que peut l’être cette glaise humaine modelée d’après les types les plus purs de la beauté positive ; mais en dehors de cette beauté il n’y avait en lui rien que de vulgaire et de malpropre. Sa chemise souillée et froissée, ses cheveux né-