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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/243

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LA FEMME DU DOCTEUR

s’était passé une ou deux semaines auparavant. Ces choses-là étaient plus présentes pour elle que l’occupation vulgaire du déjeuner, du dîner et du souper, qui occupait ses journées. Lansdell jeta un regard perçant sur la jeune femme à l’abri de ses longs cils soyeux. Était-ce une affectation féminine, une sentimentalité provinciale, ou autre chose ?

— Oui, c’est un malheur, mais je pense qu’on doit commencer à s’en consoler. Ainsi vous aimez ce fatras brumeux et rêveur ? — ajouta-t-il en montrant le livre ouvert qu’Isabel tenait à la main.

Elle en tournait les feuilles les yeux fixés sur les caractères. C’est ainsi qu’elle se serait assise, timide et tremblante, si Sir Reginald Glanville, ou Eugène Aram, ou le Giaour, ou Napoléon, ou toute autre créature mélancolique avait pu être évoquée de sa tombe et se tenir debout à ses côtés. Mais elle ne pouvait supporter le mot « fatras » appliqué aux œuvres du regretté Percy Bysshe Shelley.

— Je trouve que ce sont les plus admirables poésies qu’on ait jamais écrites, — dit-elle.

— Plus admirables que celles de Byron ? — demanda Lansdell. — Je pensais que Byron était le favori des jeunes femmes.

— Oui, certainement, j’aime Byron ; mais il vous rend bien malheureux, parce qu’on sent qu’il souffrait beaucoup lorsqu’il les écrivait ! Qu’on se le représente écrivant le Giaour dans le silence de la nuit, après avoir brillé dans un salon et avoir été le centre de tous les regards et de toutes les adorations. S’il ne l’avait pas écrit, il serait devenu fou, — ajouta Mme Gilbert en ouvrant ses grands yeux noirs. — Lorsqu’on lit les poésies de Shelley, il semble qu’on soit