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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/10

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LA FEMME DU DOCTEUR.

ble de n’avoir pas au monde un asile quelconque, — pas même un autel caché dans le cœur d’une femme romanesque. En ce moment Lansdell était arrivé devant les portes du château. La vieille femme étouffa un bâillement en ouvrant au maître du domaine. Il passa sous une petite lumière tremblotante qui brillait derrière une étroite fenêtre gothique, il suivit l’allée contournée, à travers les massifs humides qui envoyaient des parfums aromatiques dans l’air calme de la nuit. Des faons effarouchés s’enfuirent comme des ombres dans des retraites profondes sous les chênes de Mordred, et dans l’éloignement les gouttes d’eau d’une cascade, changées par la lune en pluie d’argent liquide, tombaient avec un bruit argentin parmi les blocs de granit moussus et les fougères humides.

Vu au clair de la lune, le Prieuré de Mordred n’était pas un tableau dont on pouvait aisément détourner ses regards. Depuis longtemps Roland s’était lassé de ces beautés trop connues ; mais ce soir-là le spectacle était transformé. Il le contempla avec un nouvel intérêt ; il y songea avec un sentiment de tendre regret qui le fit souffrir comme une douleur physique.

De même qu’il avait pensé à ce que sa vie aurait pu être dans des circonstances différentes, de même, en ce moment, il se représentait ce que l’endroit aurait pu devenir. Il entendait les échos des vastes et grandioses appartements réveillés par l’éclat des voix enfantines ; il voyait sur la terrasse éclairée par la lune, une silhouette gracieuse vêtue de blanc ; un visage où se lisait une affection profonde le suivait des yeux dans le chemin qu’il parcourait dans ses promenades à cheval, puis il sentait le contact électrique d’un