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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/9

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LA FEMME DU DOCTEUR

royaux avaient mission d’annoncer que ce jour-là Sa Majesté ne ferait rien. J’ai passé ma vie à cela et je n’ai même pas la ressource d’une chasse à courre.

Lansdell occupa le temps de son retour chez lui avec maintes amères réflexions de ce genre. Mais illogique et indécis dans ses pensées, comme il avait toujours été illogique et indécis dans ses actions, tantôt il se croyait profondément et follement amoureux d’Isabel, tantôt il ne voyait dans tout cela qu’une fantaisie folle et romanesque qui finirait aussi vite qu’elle était née.

— Quel fou je fais ! — se dit-il tout à coup. — Dans six semaines le pâle visage de cette pauvre enfant n’aura pas laissé plus de traces dans mon esprit que les neiges du dernier hiver sur la terre, sinon dans quelque coin perdu de ma mémoire, pareil aux aiguilles alpestres où la neige repose à l’abri des changements qu’amène le temps. Pauvre petite fille !… comme elle rougit et comme elle se trouble quand elle me parle et comme elle est jolie dans ces moments-là. Si le Théâtre-Français avait une pareille ingénue, tout Paris en raffolerait. Je crois vraiment que nous sommes fort amoureux l’un de l’autre, mais je ne crois pas que cette passion survive de part et d’autre à six semaines d’absence, surtout de son côté… pauvre enfant romanesque ! Je ne suis que le héros d’un roman quelconque et toute cette folie n’est autre chose qu’une page détachée d’un roman mis en action. Raymond a raison. Il faut que je parte ; elle reviendra à ses romans en trois volumes, deviendra amoureuse d’un héros blond, et m’oubliera.

À cette pensée, il soupira. Il valait infiniment mieux qu’il fût oublié et vite ; mais, néanmoins, il est péni-