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LA FEMME DU DOCTEUR

bert ouvrit la porte et regarda dans l’obscurité. Un homme était debout devant elle, un homme bien mis et d’aspect assez distingué, les épaules larges, les yeux noirs et hardis : une barbe noire lui couvrait le bas du visage. Il n’attendit pas qu’on l’invitât à entrer ; mais il passa le seuil comme un homme qui avait le droit de se présenter dans cette maison, repoussant presque Isabel du même coup. D’abord elle le regarda avec une expression d’étonnement profond ; mais tout d’un coup son visage pâlit affreusement.

— Vous !… — s’écria-t-elle d’une voix contenue, — vous ici !…

— Oui, moi ! tu n’as pas besoin d’ouvrir des yeux comme si tu voyais un spectre. Ai-je donc l’air si extraordinaire ?… Voici une belle idée, vraiment, de rester là tremblante et stupéfaite. Où est ton mari ?

— Là-haut. Oh ! pourquoi êtes-vous venu ici ? — s’écria la femme du médecin d’un ton lamentable, croisant les mains comme une personne en proie à une grande frayeur ou à une grande crainte. — Comment avez-vous pu être assez cruel pour venir ici… comment avez-vous pu être assez cruel pour venir ?

— Comment ai-je pu être assez… du diable !… — murmura l’étranger avec un dédain suprême. — Je suis venu ici parce que je ne puis aller nulle part qu’ici, ma fille. Inutile de trembler, je ne te gênerai pas longtemps ; l’endroit n’est pas précisément celui que je choisirais pour me retirer. Si tu peux me donner un lit chez toi pour cette nuit, tout va bien ; sinon, donne-moi un souverain, je trouverai un gîte ailleurs. Tant que je resterai ici, rappelle-toi que je m’appelle le capitaine Morgan, que je suis dans la marine marchande, et que j’arrive à l’instant de l’Île Maurice.