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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/181

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LA FEMME DU DOCTEUR

Pendant toutes ces veillées solennelles, aucune mauvaise idée ne pénétra-t-elle dans son esprit ? Pensa-t-elle qu’elle pourrait épouser Roland si la maladie du médecin allait se terminer fatalement ? Jamais, jamais une idée aussi noire ne souilla son esprit. N’allez pas croire que parce qu’elle a été inconséquente elle soit nécessairement une femme vicieuse. Sans relâche, à genoux au pied du lit de son mari, elle implora Dieu d’épargner ses jours. Elle n’avait jamais vu la mort, et son imagination fuyait, épouvantée, devant l’idée de cette terrible manifestation. Toute une existence de bonheur futur n’aurait pu lui faire oublier l’angoisse d’un changement fatal sur ce visage familier. Parfois, en dépit d’elle-même, bien qu’elle en repoussât la pensée avec une frissonnante horreur, l’idée que George ne guérirait pas s’emparait de son esprit. Il pouvait ne pas guérir, l’horreur éprouvée par tant d’autres pouvait l’assaillir.

Oh ! le bruit hideux des pas lourds des croque-morts, dans l’escalier : les coups de marteau ; l’horrible aspect d’une maison tendue de noir ! Elle pensait à toutes les morts décrites dans ses livres favoris : à Paul Dombey s’éteignant lentement, jour par jour ; à David Copperfield pleurant dans l’obscurité ; à Agnès, au visage sanctifié et à la main montrant le ciel. Si… si un pareil chagrin l’atteignait, Mme Gilbert se disait qu’elle se joindrait à quelque communauté de saintes femmes, et qu’elle se consacrerait au bien jusqu’à sa mort.

Cette conversion soudaine aurait-elle donc été si étrange ? Assurément non ! Chez ces natures enthousiastes le sentiment peut prendre les formes les plus inattendues. C’est la question de savoir si une madame