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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/194

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LA FEMME DU DOCTEUR.

leva les yeux avec une nuance de surprise dans le regard. Elle ne s’attendait pas à le trouver ainsi, calme, froid, raisonnable. Un sentiment douloureux s’empara de son cœur. Elle se dit qu’il fallait que son amour eût péri pour qu’il se montrât si bon pour elle, si doux, et si calme ; elle le regarda furtivement comme il s’appuyait dans l’angle le plus éloigné de la massive cheminée ; sans doute sa passion éphémère était morte, et il s’était replongé dans un nouvel océan d’amourettes, — une duchesse superbe, une Clotilde aux yeux noirs, — une créature brillante ressemblant aux nombreux modèles contenus dans les pages de l’Étranger.

— Vous êtes bien bon… trop bon de n’être pas fâché contre moi, — dit-elle. — Je suis venue pour vous demander un service, — un très-grand service, et je…

Elle s’arrêta et tourmenta silencieusement le manche de son ombrelle, — la vieille ombrelle verte à l’ombre de laquelle Roland l’avait vue si fréquemment. Il était évident que son courage l’abandonnait tout à fait au moment de la crise.

— Ce n’est pas pour moi que je vais vous demander ce service, — dit-elle toujours timidement et les yeux fixés sur son ombrelle : — c’est pour une autre personne, qui,… en un mot, c’est un secret, et…

— Quoi que ce soit, c’est accordé, sans question, sans commentaire, — répondit Roland.

— Je suis venue pour vous demander de me prêter… je ferais mieux de dire de me donner, car en vérité je ne sais quand je pourrai jamais vous le rendre… de l’argent, beaucoup d’argent…, cinquante livres sterling.

Elle le regarda comme si elle pensait que l’importance de la somme dût inévitablement l’étonner, et