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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/207

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LA FEMME DU DOCTEUR

qu’il se passait quelque chose de déplaisant parmi ses compagnons. Roland restait les yeux fixés sur son assiette en fronçant le sourcil et Raymond le regardait avec une expression de malaise, comme un homme qui a peur des éclairs peut suivre des yeux la formation d’un orage. Le dîner s’acheva dans une tristesse profonde et un silence terrible, que rompaient seulement le bruit des cuillers et le choc des verres. Quel glas funèbre pourrait frapper plus solennellement l’oreille que ces bruits familiers résonnant au milieu du calme terrible qui succède aux tempêtes domestiques ou qui les précède ! Il n’y a rien de bien terrible dans le chant des oiseaux ; cependant quoi de plus sinistre que la voix de ces innocents chanteurs emplumés dans les intervalles d’un orage !

Gwendoline quitta la table au moment où son père se versa un second verre de bourgogne, et Raymond se précipita pour lui ouvrir la porte. Mais Roland ne détourna pas les yeux de son assiette vide ; il attendait quelque chose : de temps en temps un mouvement convulsif de la lèvre inférieure trahissait son agitation ; mais c’était tout.

Lord Ruysdale parut soulagé par le départ de sa fille. Il avait une idée vague qu’il y avait eu quelque passe d’armes entre Roland et Gwendoline, et il s’imaginait que la sérénité reviendrait après le départ de celle-ci. Il reprit ses discours filandreux sur l’état de l’atmosphère politique, placide comme un ruisseau babillard, jusqu’à l’heure où le crépuscule commença à obscurcir les angles de la vieille salle à manger. Alors le comte tira les oreilles d’un gros vieux chien de chasse qu’il avait près de lui et fit remarquer qu’il se faisait tard.